Festival.Du lundi 1er octobre au samedi 3 novembre se déroule à Nancy la toute première édition du Festival de l’Horreur et de la Mort Qui Tue. Un projet porté par une association étudiante à qui le spectacle vivant tient particulièrement à cœur, et qui a donc ainsi voulu ressusciter la passion des Nancéiens pour les arts et la culture en cette période de la Toussaint autour d’un thème fédérateur ; la mort. Le tout célébré par un festival qui ne s’annonce pas triste…

Dans le premier des films consacrés aux aventures macabres de la célèbre famille Addams, réalisé par Barry Sonnenfeld en 1991, l’Oncle Fétide propose aux enfants ravis de s’adonner à leur jeu favori : « Et si on jouait à réveiller les morts ? » Sans aller jusqu’à troubler le repos éternel de quelques malheureuses âmes, toutes les cultures, toutes les mythologies ont depuis la nuit des temps célébré les défunts, leur consacrant rites, cultes, jeux, cérémonies, et fêtes pour leur permettre de trouver la paix, le cycle de la vie ne pouvant s’accomplir sans la mort. La Faucheuse apparaissant alors tour à tour une alliée ou une terrifiante ennemie.
Pourtant, si de nos jours la fête d’Halloween reste une des célébrations les plus appréciées et les plus joyeuses outre-Manche et Atlantique, bien que dévoyée dans un but purement commercial, la Marche Funèbre reste crainte en France, et le glas sonne encore comme un tabou absolu : la mort n’est pas un sujet de conversation aisé.
Et cependant, à l’origine de la fête d’Halloween, il y avait nos ancêtres Celtes et Gaulois, célébrant Samain, la transition entre la fin de la période des moissons et la froidure de l’hiver. Une période propice au retour des morts sur Terre. Ainsi pour faire fuir les mauvais esprits, il était de coutume de se déguiser et d’allumer des feux de joie. La célébration des morts avait une fonction cathartique : se masquer pour repousser démons et revenants permettait d’en exorciser la peur. L’arrivée du christianisme a ensuite peu à peu fait disparaître la vieille fête païenne de nos traditions pour y substituer la Toussaint.
Mais par une nuit d’Halloween, Libya Senoussi, ancienne étudiante en psychologie, en DU Etudes Théâtrales à l’ex-Université Nancy 2, puis en CMI (Connaissance des Métiers de l’Information), aujourd’hui âgée de 29 ans, s’ennuyait avec ses ami-e-s, peu férues de soirées déguisées en discothèque et trop vieux pour réclamer des bonbons de porte à porte. C’est alors que germa l’idée d’un festival centré sur ce thème devenu tabou, la Mort, permettant également de redynamiser la vie culturelle durant la période assez creuse de la Toussaint.
Pour nous expliquer la genèse de ce projet hors du commun, nous avons rencontré sa tête pensante, Libya Senoussi, alias La Veuve Noire.
Comment est venue l’idée d’organiser ce Festival de l’Horreur et de la Mort Qui Tue ?
J’ai fait une fac de psycho, je suis arrivée à la maîtrise, et finalement je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire, que c’était plus vers le spectacle vivant que ma « destinée » s’orientait. J’ai commencé à faire du théâtre, et puis je me suis dit qu’on ne pouvait pas vivre de ça sans sortir d’une grande école et je me suis tournée vers le journalisme, parce que c’est quelque chose qui m’attire aussi. J’ai donc créé mon émission de radio, Des Fraises sur la Chantilly, qui parle du spectacle vivant, sur Radio Caraib Nancy. Et grâce à mon émission sur le spectacle vivant, j’ai obtenu des accréditations pour tous les spectacles, et j’en ai vu beaucoup, beaucoup, beaucoup. Mais j’ai été déçue d’y voir toujours les mêmes spectateurs, donc j’ai créé l’association RésurrAction, qui aura bientôt un an (le 14 décembre) afin de créer un festival de l’Horreur et de la Mort Qui Tue, pour pouvoir aller au contact direct des spectateurs, parce que donner une information et faire gagner des places, ça ne suffit pas. Je voulais créer un festival qui ressemble vraiment à ce que j’aimerais voir au théâtre ou dans les salles de spectacles. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de bonnes salles de spectacles à Nancy, mais il s’agissait de proposer quelque chose de nouveau sur scène.
Le Festival de l’Horreur et de la Mort Qui Tue, c’est des expos, des projections, des spectacles, de la musique autour du thème de la Mort et de l’Horreur, et on est postés dans tout Nancy, un peu comme une énorme toile d’araignée. On commence le festival par les expositions, c’est donc la base de la toile d’araignée.
En fait tout s’imbrique : il y a des expos, mais dans les expos, il y a du spectacle vivant, et des projections ou de la musique. C’est vraiment comme une toile d’araignée. Les expos, c’est la base, et le moyeu (c’est-à-dire le centre) c’est la MJC Lillebonne, qui nous accueille pour la grande soirée du 31 octobre. On va la décorer, on va proposer plein d’animations à l’intérieur pour fêter le soir d’Halloween d’une autre manière que la fête commerciale.
Dans votre édito pour la brochure du festival, vous écrivez que le but de ce festival est la « victoire finale de la Vie (le spectacle) sur la Mort (la télévision) pour le genre humain »… Vous n’y allez pas de main morte, chère Veuve Noire !
Oui, je suis très cash, mais je considère vraiment la télé comme la Mort et le spectacle comme la Vie. Peut-être qu’il y a de bonnes émissions, mais je n’ai plus la télé depuis cinq ans, et franchement, je ne m’en porte pas plus mal ! J’ai l’impression que la télé a pris un peu le dessus sur la réalité concrète, et que contrairement au spectacle vivant qui interagit avec les spectateurs, la télévision est figée. On ne peut rien y contrôler, à la limite on est manipulé à notre insu. Rien que par la publicité : il n’y a pas de pub durant un spectacle ; on n’essaie pas de vous vendre quelque chose quand vous allez voir une pièce. Bon, au cinéma, il y a des pubs, certes. Mais la télé, je la considère comme quelque chose d’abrutissant, et au contraire, le spectacle vivant ouvre des portes ; il ouvre l’esprit.
Pourquoi le choix de ce thème de la Mort ? Pourquoi serait-il si fédérateur ?
Déjà tout simplement parce que c’était un créneau qui n’était pas pris ! J’ai quand même bien réfléchi aux autres festivals qui se font dans la région, et il n’y avait rien à cette période-là, on peut dire que c’était une période « morte ».
Et aussi parce que je trouvais que c’était intéressant cette antithèse entre le spectacle vivant et ce thème de la mort. La mort est quelque chose de très, très, tabou dans notre société. Même le soir du 31, on fait tout sauf en parler. J’ai pensé que ce thème n’était pas mal parce que ça bouscule les gens et permet aux artistes d’y aller vraiment ! Le thème de la mort est super large. On peut l’aborder sous l’angle du deuil, sous l’angle de la religion… Le thème est très ouvert. Je ne suis pas du tout passionnée par la mort, mais même le nom de l’association, « RésurrAction » est très symbolique. On pense qu’il y a des gens qui sont morts de l’intérieur, ils ne vivent que d’apparence parce qu’ils font un boulot de merde, s’ennuient, ne vivent pas pour vivre mais pour survivre, et c’est aussi pour ça que l’association s’appelle comme ça : grâce au spectacle vivant, on aimerait que les spectateurs trouvent quelque chose à quoi s’accrocher.
Quelle place pensez-vous que les arts vivants occupent dans la scène culturelle nancéienne ?
Ils ont une bonne place, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a pas mal de spectateurs qui vont au théâtre juste pour dire qu’ils ont été au théâtre, et qu’il y a aussi beaucoup de faux-culs qui prétendent qu’ils ont aimé les spectacles alors que c’était nul, et qui ainsi ne contribuent pas à l’amélioration de ce qu’on peut proposer au public nancéien.
Est-ce que vous pouvez revenir sur la mise en chantier du projet ?
Ca fera un an en novembre que tout a débuté. J’ai commencé par une première réunion qui a été un lâcher brut de toutes les idées qu’on avait eues par rapport à ce festival. Je savais dès le départ que je voulais aborder tous les arts et envahir la ville comme une toile d’araignée. La mort est incluse dans le personnage de la Veuve Noire ; ça et la toile d’araignée, ça en faisait le personnage idéal. (Même si c’est une araignée assez ridicule, en fait : elle est toute petite ! Mais elle fait peur, par son nom et parce qu’elle a du venin, mais il faudrait se faire piquer au moins cinquante fois pour en mourir…)
Ensuite il y a eu les demandes de subvention, c’est ce qui a pris beaucoup de temps. Il a fallu rassembler les troupes, motiver les gens, sélectionner des artistes, groupes, exposants… Ca s’est beaucoup fait au bouche-à-oreilles et via la page Facebook ! Il y a trois ou quatre groupes ou artistes qu’on a trouvés comme ça, grâce à Facebook, comme Julien Losa, le magicien-mentaliste qui reproduit une séance de spiritisme comme au XIXe siècle. En fait, personne ne voulait acheter son spectacle, à cause du thème, je n’ai pas très bien compris ça. Il m’a dit qu’il trouvait que ce festival était l’occasion rêvée de le monter, donc je l’ai invité !
Comment fait-on, quand on est une jeune association étudiante et qu’on veut monter un festival de théâtre ?
Eh bien, je sais que moi, je me suis adressée à la Maison de l’Etudiant et que là-bas ils m’ont beaucoup aidée, car c’est aussi leur métier de soutenir les étudiants dans la mise en place de leurs projets culturels ! On m’a donc expliqué comment reformuler mon dossier, comment décrocher des subventions, comment faire un budget, puisque je ne savais pas du tout comment on faisait !
Il y a eu aussi la collecte de fonds sur Kiss Kiss Bank Bank, même si ça a été une expérience affreuse… Franchement, on a stressé tout le temps ; on avait l’impression de saouler les gens à leur demander sans cesse de nous donner de l’argent. Parce que c’était une pression supplémentaire dans la mesure où même si on parvenait à récolter 1500€ sur les 2000€ demandés, on devait tout rendre si on n’avait pas l’intégralité de la somme à la date limite ! Ca a donc été un stress épouvantable ! J’en garde un très mauvais souvenir. Je suis contente parce qu’on est arrivés au bout, mais franchement c’était l’enfer !
Mais ce qui m’a aidé c’est que je connais beaucoup d’associations, et puis l’émission de radio m’a énormément servi, notamment pour rencontrer des artistes et nouer des contacts ! Encore une fois, tout s’imbrique. C’est en grande partie grâce à l’émission qu’il y a le festival…
Quels seront les temps forts du festival ? Qu’est-ce qu’il ne faut surtout pas manquer ?
La soirée du 31 octobre ! C’est la grande soirée de l’Horreur et de la Mort Qui Tue, sur le thème du Mexique, parce que c’est l’un des rares pays à célébrer la mort de manière festive : on mange, on danse, on fait la fête…
Et aussi parce qu’il y aura plein d’artistes qui se proposent de faire des spectacles de forme courte ; il y aura aussi la finale du concours de sosies de chanteurs morts ; il y aura le DJ set d’On Vous Passera Des Disques sur le thème du Mexique ; de la cuisine, avec des spécialités culinaires mexicaines ; Nino de Ninosens (qui a notamment fait la déco du JDM) qui s’est proposé de décorer la MJC Lillebonne, un groupe qui s’appelle Suicide Bliss, qui s’est chargé de toute l’ambiance sonore dans la MJC… Julien Losa sera peut-être là aussi pour nous faire des tours de magie, il va y avoir un cracheur de feu… Ca va vraiment être une soirée de malade !
Et en plus on essaie de faire en sorte que ce soit accessible aux personnes en fauteuil roulant, ce qui est totalement impossible au quotidien pour la MJC Lillebonne. Mais on a quelqu’un qui s’occupe essentiellement de rendre au moins le rez-de-chaussée accessible. De cette façon on va organiser des duplex, et s’arranger avec les artistes pour qu’ils fassent leurs spectacles en haut et en bas.
Est-ce que cette initiative est destinée à être reconduite ?
Je l’espère ! Et même si jamais on n’a pas le budget l’an prochain, je pense que la soirée du 31, on la fera tous les ans ! Yves Colombain, le directeur de la MJC Lillebonne, adore le projet. Maintenant on a notre boîte aux lettres là-bas, et si tout se passe bien, il n’y a pas de raison qu’on ne recommence pas !
Avez-vous été aidés par la ville de Nancy ?
Oui, oui. La ville de Nancy nous prête le Théâtre Mon Désert pendant une semaine, et j’ai pu bénéficier de subventions grâce au service de la jeunesse. C’est toujours compliqué de demander des subventions quand on est une association de moins d’un an ; je pense qu’il y en a qu’on ne pourra décrocher que l’année prochaine, en présentant des bilans financiers. Mais je pense aussi qu’on en obtiendra déjà pour favoriser l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Notre prochain objectif serait de présenter des spectacles à l’attention des sourds et des malentendants. J’aimerais bien programmer au minimum un spectacle visuel en relation avec l’International Visual Theatre. Il est basé à Paris, et dirigé par Emmanuelle Laborit. C’est un théâtre essentiellement pour les sourds et les malentendants. Il ne propose que des spectacles visuels qu’une personne malentendante peut aller voir au même titre que tout le monde. Je vais donc faire un effort pour cela l’année prochaine ; effort que toute structure devrait faire à mon sens ! Ces personnes sont beaucoup plus nombreuses que ce qu’on croit et les sous-titrages, ça ne suffit pas. Surtout que personnellement, ma préférence va vers les spectacles visuels, je n’aime pas quand il y a trop de texte !
Un dernier mot pour conclure, Madame la Veuve Noire ?
Je cherche un nouveau mari, étant donné que je les ai tous tués !
Sérieusement, j’espère que la proposition que l’on fait aux gens avec ce festival va leur plaire, car c’est pour eux qu’on le fait ! Mon souhait est vraiment de mettre un petit coup de marteau dans la scène culturelle nancéienne. Je ne pense pas tellement innover parce que les Canadiens ont déjà organisé ce type de festival – mais pas de la Mort Qui Tue ! En tous cas, ils ne font que des spectacles, et pas d’expos. Je me suis inspirée de deux ou trois initiatives à droite et à gauche, comme le Salon de la Mort à Paris, qui cependant ne fait que des expos et des conférences de professionnels de Sciences Humaines à propos de la Mort, mais de façon très sérieuse. Nous, justement on organise un cycle de Conférences Noires, à ne pas louper, mais qui sont totalement humoristiques. Ce sera la toute première action de l’association ResurrAction, et si ça peut permettre à des bénévoles de monter sur scène et de s’exprimer ; de se faire connaître au niveau de l’écriture, de la mise en scène ou du jeu d’acteur, je serai très heureuse !
Pompes (Funèbres) et Circonstances pour l’Inauguration
C’est lundi 1er octobre dès 15h00 que le premier fil de la toile de la Veuve Noire a été tissé, à partir de la Maison de l’Etudiant, sur le Campus Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Lorraine, à Nancy.
Jean-Charles Blesch, graveur de pierres tombales, mais aussi poète et peintre à ses heures perdues, auteur du blog Brèves de Cimetières[1] y maniait le ciseau à pierre, décorant la stèle du Festival de l’Horreur et de la Mort qui Tue de son logo ainsi que de ceux de l’émission Des Fraises Sur la Chantilly et de l’association RésurrAction. Les étudiants curieux sont alors venus lui poser toutes sortes de questions, certains échangeant même des plaisanteries bon-enfant, quémandant des rabais en cas de décès le 1er novembre.
Amusé, Jean-Charles Blesch a répondu avec patience et bienveillance à ces questions concernant son métier, qui n’est désormais plus guère pratiqué, voire parfois méprisé parce qu’il s’exerce à l’ombre des tombeaux. Un métier que l’artisan et artiste – on pourra contempler jusqu’au 26 octobre à la Maison de l’Etudiant quelques unes de ses Brèves de Cimetières, associant illustrations et écrits, soigneusement encadrées – a découvert à l’âge où il se questionnait sur son avenir, en rencontrant quelqu’un qui le lui a appris, et pour lequel il s’est pris de passion alors qu’il hésitait entre d’autres voies créatives comme le journalisme et le théâtre.
Autant dire que Jean-Charles Blesch a eu l’occasion d’exercer ses nombreux talents lors de cette inauguration, puisque le soir, à 18h30, les membres de l’association RésurrAction – dont il est par ailleurs membre d’honneur – se sont tous déguisés pour donner le véritable coup d’envoi symbolique du festival. Une procession a en effet escorté le cercueil de la Veuve Noire de l’amphi Déléage à la Maison de l’Etudiant, où celle-ci a ressuscité sous les yeux médusés de l’assistance !
Point névralgique du festival sur le campus, la MDE accueille depuis lors et jusqu’à sa conclusion de nombreuses animations, conférences, expositions.
Le vendredi 5 octobre, un vernissage a également eu lieu au Boucl’Art, agrémenté d’une soirée slam, de zombies-pains d’épices et de doigts en pâtes d’amandes à déguster.
Le festival se poursuivra durant tout le mois d’octobre avec des spectacles de théâtre, des ciné-concerts, des Conférences Noires, une zombie-walk, et bien sûr la grande soirée de l’Horreur et de la Mort Qui Tue, le 31 octobre à la MJC Lillebonne, à partir de 18h30
Festival de l’Horreur et de la Mort Qui Tue – 1e Edition
Du 1er octobre au 3 novembre à Nancy
Renseignements, infos pratique, tarifs :