Théâtre- La pièce la plus emblématique de l’œuvre de William Shakespeare fait l’objet d’une mise en scène charnelle et poétique au Théâtre de la Manufacture, jusqu’au 29 septembre. Un spectacle éblouissant et profondément émouvant, dont tous les aspects sont maîtrisés.

Qui ne connait pas l’histoire de Roméo et Juliette, les deux héros de la plus célèbre de toutes les tragédies de William Shakespeare, pour ne pas dire sans doute de tout le théâtre élisabéthain ? Les amants séparés par la haine de leurs familles, que seule la mort apaisera, ont déjà fait l’objet de nombreuses adaptations, du théâtre au cinéma ; de West Side Story au Romeo + Juliette survolté de Baz Luhrman ; de la comédie musicale kitsch au ballet classique.
Aussi, à l’heure contemporaine, est-il rare de voir quelque représentation de Roméo et Juliette opter pour une esthétique classique, avec des personnages vêtus de hauts de chausses et de culottes bouffantes. Au-delà de la question du costume, la mise en scène doit d’ailleurs constamment se poser celle de la situation de la pièce à notre époque et de sa signification aujourd’hui, où certes les rapports sociaux ne sont plus les mêmes mais où hélas les vieilles rancœurs, les conflits et les haines immémoriales existent toujours.
Telle est bien la démarche entreprise pour cette nouvelle version de la tragédie des amants de Vérone par le metteur en scène David Bobee, ainsi que les traducteurs Pascal et Antoine Collin, à qui l’on doit un texte rajeuni, vivifié, et cependant fidèle à la poésie des mots de William Shakespeare.
Or, dans Roméo et Juliette, les mots sont importants. Car comme le rappelle le Prince dès le premier acte, les vieilles querelles qui menacent la cité de leur funeste augure sont ranimées par « un simple mot en l’air ». Un nom tantôt honni, tantôt chéri, désigne à la fois l’objet de l’amour et le déclencheur de la tragédie. Ainsi Roméo, s’il n’était pas Roméo, garderait ses perfections, de même qu’une rose embaumerait tout autant si elle ne s’appelait pas « rose » ; mais parce qu’il est Roméo, un Montaigu, il devient malgré lui le meurtrier de Tybalt, « le jouet de la fortune ». Dans les mots, la tragédie se noue. Aussi, le travail de Pascal et Antoine Collin n’est-il pas anodin, intégrant de l’argot, s’effectuant sur la langue, sa musicalité, son adaptabilité, voire parfois sa férocité. Les mots de Shakespeare à travers ceux de Pascal et Antoine Collin captent tout-de-suite le spectateur, lui parlent de son quotidien, se teintent de multiples accents, lui rappellent que Vérone finalement, n’est qu’une métaphore, peut-être même une utopie. Cette cité est toutes les cités du monde ; son Prince à la fois tyrannique et dépassé par des velléités guerrières trop anciennes pour qu’on puisse en rechercher l’origine, est tous les régimes dépassés par les conflits qui y naissent. En un mot réside une possibilité de salut, une issue.
Il y a les mots, donc, mais aussi les corps. « Je suis un beau morceau de chair » clament les Montaigu déchaînés en se rendant au bal des Capulet. Dans la mise en scène de David Bobee, la tragédie se trouve véritablement incarnée. Car si l’amour et la haine torturent les cœurs et les esprits, ce sont bien les corps que les rivalités entre Montaigus et Capulets anéantissent. Et l’horreur de cet acharnement à la destruction de leurs vies respectives, cette soif de sang, d’affrontements, de colère, imprègne la mise en scène des corps. Que ce soit lors de la scène du bal où deux acrobates dessinent un impressionnant kaléidoscope humain de leurs membres, figurant avec grâce et poésie la danse, la fête, et ce moment fragile où l’amour naît, dans un simple regard ; ou lors des joutes physiques et verbales entre Montaigus et Capulets, qui donnent naissance à de véritables battles de danse hip hop ; c’est dans les chairs-mêmes de ses protagonistes que David Bobee inscrit la tragédie.
Le décor est alors de cuivre et de flamme, dépouillé, un rideau baissé suffisant à dire l’émoi d’une jeune fille prête à recevoir son amant ; ses lambeaux criant le gâchis des vies détruites ; une fenêtre clamant le désespoir, la solitude, le dilemme. Tantôt la scène bourdonne, les sons explosent, les lumières éblouissent, les ombres planent, menaçantes, annonçant des ténèbres plus terribles encore. Des images soubresautent, des sons jaillissent. Les acteurs s’interpellent depuis la scène jusque dans le parterre, et le public, pris au milieu de ces dialogues, ne peut y rester indifférent. La poésie et la grâce émane de danses, de chorégraphies qui parfois décrivent pourtant les combats, les deuils et les meurtrissures. Les lumières vibrent des brasiers de la passion et de la fatalité du tombeau. L’espace joue sur les symétries, et dans cette organisation géométrique on ressent l’écho du conflit amoureux, « cet innommable chaos des formes les plus aimables ». Notamment grâce au personnage de la nourrice, interprété avec un peps épatant par Véronique Stas, David Bobee parvient à préserver l’équilibre délicat qui existait déjà chez Shakespeare, la pièce se réservant sans cesse la possibilité de basculer dans la comédie, et ce même aux moments les plus effroyables, ce qui en rend la cruauté d’autant plus vive. Aussi les forces qui s’abattent sur les corps frêles de Roméo (Mehdi Dehbi) et Juliette (Sara Llorca) semblent d’autant plus implacables qu’on les voit briser les corps, et ce, même sans qu’une goutte de sang ne soit versée.
Le résultat est sublime et d’une émotion intense.
Roméo et Juliette
Du 25 au 29 Septembre au Théâtre de la Manufacture
Texte de William Shakespeare
Mise en scène, adaptation, scénographie et chorégraphie de David Bobee
Nouvelle Traduction de Pascal Collin et Antoine Collin
Spectacles : Mardi, Mercredi à 20h30 et Jeudi et Samedi à 19h00
Tarifs : Plein Tarif 21 € ; Tarif Réduit : 16 € ; Tarif Jeune : 9 €
Renseignements, Informations : www.theatre-manufacture.fr