Quelques jours après la parution en France de "Piranhas", l'écrivain et journaliste italien Roberto Saviano était de passage à Nancy pour la promotion de son livre. Lors d'une rencontre organisée par la Ville de Nancy et la librairie Le Hall du Livre et face à ses lecteurs, l'auteur a apporté son éclairage sur le nouveau phénomène mafieux les "baby gangs" qui agitent les rues de Naples...


Dix ans après le succès planétaire du livre Gomorra, Roberto Saviano fait paraître en France un nouvel ouvrage intitulé « Piranhas » consacré aux baby-gangs de la camorra napolitaine. Un roman puisant ses sources dans une réalité sociale puisque l’auteur d’origine napolitaine explique s’être documenté et avoir enquêté sur ce nouveau phénomène criminel qui sévit à Naples pour nourrir au plus près sa narration. 

« Piranhas » traduit du titre italien « La paranza dei bambini » livre le récit désespéré de la naissance et l’ascension d’une « paranza », un groupe de jeunes fasciné par l’argent, le pouvoir et la violence. Ils s’appellent Nicolas Fiorillo (dit le Maharaja), Briato, Tucano, Oiseau mou, Drone... Des surnoms en apparence innocents de dix protagonistes âgés d’une quinzaine d’années qui témoignent déjà au contraire à l’appartenance à leur clan, à une famille. Malgré leur visage juvénile trahissant leurs âges, leur portrait est glaçant. Ils ne craignent ni la mort ni la prison, s'inspirent des codes de la mafia pour mieux terroriser les quartiers dans le but de revendiquer leur suprématie. Leur mantra « Tout, tout de suite » résonne en écho avec leur mode d'action. Malgré des références qui se prêtent au sourire, car puisées dans le milieu cinématographique, appuyées par leur inexpérience ou leurs loisirs avec les jeux vidéos, ces enfants féroces vont gravir les marches pour s’approcher à leur façon du « Système » de la Camorra décrits par Roberto Saviano. Grâce à un vide du pouvoir dans certains quartiers, ils parviennent à obtenir la protection de Don Vittorio Grimaldi (dit l’Archange). Leur indifférence totale au bien ou au mal, leur audace, leur fascination pour Daesh montrent la dimension de leur mentalité criminelle qui va leur permettre d’alimenter leur ascension fulgurante. Extorsion, manipulations d’armes de guerre et tirs à l’AK-47, crimes... Les actes les plus brutaux sont commis avec une abjecte indolence. La mort fait partie de leur parcours, ils se tiennent prêts à mourir. 

Brut, impitoyable, tragique. Roberto Saviano nous plonge en immersion dans un univers captivant et cruellement réaliste qui n’est pas si éloigné de nous. Un ouvrage d’analyse et sujet à réflexion sur les tenants et les aboutissants du crime organisé. Comment la puissance du pouvoir et la violence extrême ont pu séduire cette jeunesse sans espoir ? Qui sont ces enfants devenus soldats ? « Ils ne sont pas différents des autres », répond Roberto Saviano à Nancy... Leurs parents ne sont d’ailleurs pas issus forcément de classes sociales défavorisées, mais des couches « de la petite ou moyenne bourgeoisie », ces enfants sont même pour la plupart « brillants » souligne l’auteur...

« Piranhas », un roman inspiré de faits d'actualité

Roberto Saviano : « C'est totalement inspiré de faits réels. Je ne parviens jamais à créer une histoire fictive parce que la réalité dépasse l'imagination. L'élement narratif du livre, les grandes lignes de l'histoire, comme dans ma série Gomorra utilisent de vrais élements puis sont adaptés avec un "montage". C'est une histoire incroyable, à un moment je me suis arrêté sur un fait d'actualité, ces enfants de 10 à 19 ans qui pendant quatre ans ont dominé une des organisations la plus puissante du monde. Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu des enfants dans ces organisations criminelles, mais pas à leur sommet... Je ne voulais pas faire de la non fiction. Et alors, j’ai vraiment voulu me mélanger à eux, les voir de l'intérieur. »

« J'ai essayer de rentrer dans leur têtes. Par exemple, tous les dialogues que l’on retrouve dans le livre proviennent d’écoutes téléphoniques réelles, une grande partie des histoires je les ai découvertes dans des dossiers judiciaires, elles sont racontées dans des écoutes téléphoniques, des auditions policières, par la voix des repentis... Donc, disons que la puissance littéraire, c’est de faire du lecteur partie prenante de ce groupe. Je ne sais pas si j’ai réussi cet objectif, mais l’idée c’était que le lecteur en lisant ce livre se dise : "Waw, ces enfants ne sont pas différents des enfants que je connais, de leur façon d'être dans le monde". Seulement eux, pour obtenir de l'argent, pour se distinguer, devenir quelqu'un, ils le font avec les armes et le trafic de drogue, mais la logique est la même. »

Roberto-Saviano-cpICN

"La méthode Google"

Roberto Saviano : « Ils ont besoin de gérer le marché cocaïne alors ils vont développer une stratégie qui va être celle-ci. Ils ont besoin d’armes, à qui vont- ils les demander ? Ils vont les demander aux familles de la camorra vaincues, celles enfermées, qui ont encore un peu d’armes, encore un peu de drogue qui peuvent seulement faire du trafic dans quelques places. Ils se rapprochent d'eux et réclament : "Donnez nous les armes, nous on veut conquérir le centre de Naples". Quoi ? "Mais si, et en échange on vous vend votre drogue, mais on doit la gérer nous". Ils prennent, ils le font et avec le marché c’est simple la drogue qu’ils vendent, ils la vendent à un prix très bas et ils s’assurent qu’elle est de très bonne qualité. C’est ce qu’ils appellent la méthode Google. De cette façon, ils prennent tout le marché et une fois qu’il est acquis ils font monter les prix. »

Une fascination pour Daesh

R.S : « Ils adorent Daesh, car ils tuent sans pitié, enfants femmes, dans le dos. C’est suffisant, ils font régner la peur pour être attirants. Le capital de la peur, est l’unique capital qu’ils ont et une fois qu’ils le mettent en œuvre qu’ils l'utilisent autour d'eux, ils ont un retour d’images, les personnes ont peur d’eux, ils ont aussi le retour de l’argent, du pouvoir et du respect... »

De la lecture à l'écriture au désir... de vengeance

R.S : « Mon premier pas vers l’écriture a été nourri d'une vraie bibliophilie en dévorant tellement de livres que ma dimension idéale était celle d’être littéralement écrasé entre deux pages d’un livre. En réalité, j’ai écrit précisément pour cela, et puis il y a eu un épisode lorsque j’avais 16 ans. Un curé de mon village Don Peppe Diana a été tué. Il avait 30 ans. Aujourd’hui, quand j'y pense je suis plus vieux que lui, j’en ai 39 ans. Ce meurtre a déclenché en moi une colère infinie c’est comme si tous mes organes avaient envie d’exploser à l’intérieur de moi, c’est là que je me suis dit et que je me suis juré : “Je me vengerai”. C'est vrai, la vengeance n’est pas quelque chose de noble, mais j’écris pour me venger.» 

Une protection policière depuis la parution de Gomorra

R.S : « J’avais 26 ans, j’arrive à la gare de Naples parce que ces jours-là j’étais à Pordenone, dans le nord d l’Italie. Là, une voiture de carabiniers qui m’attend me conduit à une caserne. On m’informe que je vais bénéficier d’une protection, surpris je demande "Pourquoi ces hommes sont-ils autour de moi ?" Je me souviens à l'époque de la réponse du maréchal qui me dit que "c’est l’histoire de seulement quelques semaines” et en fait cela fait 11 ans que ça dure. »

Continuer d'écrire et poursuivre le combat

R.S : « Paradoxalement, ma situation me permet d’être au plus près des sources. J’ai accès aux dossiers judiciaires, aux écoutes téléphoniques, je peux interviewer directement ces criminels... Certes, ils n’ont pas forcément envie de se faire interviewer par moi, mais c’est souvent sous la forme d’un défi, une façon de dire bon je vais te dire comme ça tu arrêteras d’écrire ces conneries. D’un côté, il me manque le terrain, la rue, mais de l’autre je suis plus proche des informations. Vivre sous protection est terrible, si on ne m’a pas tué, on ne m’a pas laissé vivre non plus. Donc je ne suis ni mort ni vivant. Le plus difficile et ça fait 11 ans que je suis protégé, c’est de devoir justifier sa propre vie. Comme : "Mais, comment, tu n’es pas mort ?". Eux ne connaissent pas le risque, c’est comme si je devrais mourir pour être crédible. Le juge Giovanni Falcone, le juge italien tué par la mafia, le disait toujours, l’Italie est ce pays heureux où il faut se faire tuer pour être crédible.»

Sur le même thème >>> L'ancien juge antiterroriste Gilbert Thiel remet la médaille de la Ville à Roberto Saviano

En vidéo. Roberto Saviano face à ses lecteurs dans les salons de la Préfecture de Meurthe-et-Moselle à Nancy
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