couleurdepeaumiel1A l’occasion de la sortie au cinéma de Couleur de Peau : Miel, Laurent Boileau, co-réalisateur du film avec son personnage principal, Jung, a bien voulu répondre à nos questions, évoquant la difficulté de retranscrire en images un réel encore chargé d’émotions...

 

 

Qu’est-ce qui vous a fait vous intéresser à cette histoire ?

Laurent Boileau : Je suis un grand lecteur de bandes dessinées. Avant que je commence à travailler sur le film, j’en lisais à peu près 300 par an, parce que je chroniquais des albums sur un site qui s’appelle Actuabd. Je m’occupais aussi de la rubrique BD du site de France Télévisions, et j’avais réalisé cinq ou six documentaires autour de la bande dessinée.

Et puis en 2007, parmi les 300 BD que je lis, je tombe sur Couleur de Peau : Miel. - Jung venait juste d’écrire le premier tome -. Et je tombe un peu sous le charme de cette bande dessinée, parce que Jung y raconte son histoire d’une manière pas du tout misérabiliste, avec beaucoup d’humour et d’autodérision. Ça m’a bien plu sur la forme. Et puis il y a deux choses qui m’interpellent : cette histoire si singulière de l’adoption internationale en Corée, qui est vraiment une histoire atypique et unique ; et le fait qu’à la fin du bouquin il promet à l’enfant qu’il était de retourner en Corée. Je me suis renseigné un peu, j’ai fait des recherches sur internet, et j’ai découvert qu’il avait plus de quarante ans et qu’il ne l’avait toujours pas fait. Je me suis dit : « Un gars qui à plus de quarante ans n’est toujours pas retourné dans son pays d’origine alors qu’il est allé dans d’autres pays d’Asie, ce n’est pas innocent, il y a matière à faire quelque chose ». J’ai contacté son attachée de presse et j’ai demandé à le rencontrer. On s’est rencontré pendant six mois en 2008, durant lesquels il a écrit son tome 2, et puis le projet, qui au départ était sans doute plus un documentaire comme j’ai l’habitude de faire s’est transformé petit à petit, au contact du producteur, Thomas Schmitt, en long-métrage.

C’est vous qui avez provoqué le retour en Corée, pour les besoins du film ?

L. B : Oui tout à fait. Disons que lui avait l’intention d’y retourner – depuis quarante ans – et qu’il a d’une part accepté d’attendre que le film l’emmène pour partir ; et d’autre part, je pense que le film le canalisait aussi, lui donnait un cadre assez rassurant pour effectuer ce voyage.

 

Dans quel état était-il au cours de ce voyage ?

L. B : Je pense qu’il avait une appréhension, et que le sentiment qu’il en a retiré est ambigu.  C’est-à-dire que l’effectuer dans le cadre d’un tournage, entouré par une équipe, c’était peut-être rassurant par rapport aux peurs qu’il éprouvait et à ce qui l’avait motivé à refuser ce voyage. Mais en même temps, comment faire un voyage intime avec une caméra et 25 personnes ? Forcément, il y a ambiguïté. Je pense que le voyage intérieur est peut-être un peu faussé, mais ça n’empêche pas la sincérité de ce qu’on a filmé et de ce qu’il a vécu sur place. La scène où il va dans l’agence d’adoption et où il récupère son dossier, elle est sincère ; c’est comme ça qu’il l’a vécue, c’est comme ça qu’il a réagi…

C’est l’agence d’adoption en Corée ? Son dossier était resté là bas ?

L. B : Oui, c’est l’agence d’adoption en Corée. Le dossier était resté là bas. Disons que vous avez juste quelques papiers qui suivent et qui sont transmis à la famille d’adoption, mais le dossier d’origine reste dans l’agence afin que l’adopté vienne sur place le consulter. Ce qui permet éventuellement, si la famille biologique a donné signe de vie, que si l’enfant revient et en fait la demande, on puisse remettre les deux en contact.

 

En quoi le sujet de l’adoption vous intéressait-il ?

L. B : Dans ma vie, j’ai eu l’occasion de croiser des adoptés… Mes parents n’ont pas adopté, mais ils ont recueilli un cousin et une cousine germaine qui étaient devenus orphelins, donc moi-même j’ai connu ce que c’était que d’être dans une famille recomposée, et d’avoir des relations de frères et sœurs avec des enfants qui ne le sont pas par le sang. Je n’étais donc pas étranger à cette problématique.

 

Pourquoi avoir choisi cette forme hybride entre documentaire et dessin animé ?

L. B : Je viens du documentaire : le réel m’intéresse, du fait de mon passé. Je suis réalisateur de documentaire à la base. Dans cette histoire, il m’intéressait de pouvoir saisir ce qu’on peut ressentir quand on retourne quarante ans après dans un pays qui est devenu étranger pour soi. Et ça, je ne voulais pas le mettre en scène, parce que ça m’intéressait de capter ce qui allait se passer. L’intérêt du documentaire, c’est de retracer ce que vous connaissez, mais aussi de découvrir un inconnu. La fiction vous oblige à tout maîtriser. Si j’avais dû mettre en scène le retour de Jung, j’aurais dû imaginer ce qui se passait dans sa tête. Nous, on voulait être dans la sincérité, ne pas l’inventer. On aurait pu le faire avec un comédien, mais on aurait peut-être perdu ce côté touchant, qu’on espère avoir traduit dans le film par l’émotion qu’il a, quand il se trouve face à ces quelques feuilles de papier jaunies…

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Et vous vous êtes vite retrouvés sur le type d’animation choisi ?

Le choix de la technique d’animation nous a été proposé par la production. Mon désir était de travailler sur la prise de vue réelle et l’animation. Parce que Jung venait du dessin et de la bande dessinée, l’animation s’imposait pour parler de son enfance et du passé ; et la prise de vue réelle s’imposait pour transcrire cette émotion des scènes contemporaines. Au départ, j’avais dans l’idée de mélanger le Jung réel et le Jung enfant, en animation, dans la même image. Et comme j’avais travaillé plusieurs fois avec France Télévisions Signatures à Nancy, sur plusieurs de mes documentaires, je les ai appelés pour leur demander des conseils.

De fil en aiguille, Jean-Luc Desmond, le responsable de France Télévisions Signatures m’a posé plus de questions, et il a été séduit par le projet. Il nous a proposé de nous donner les moyens de réaliser un petit teaser au deuxième semestre 2008 – au début, il n’y avait ni scénario ni rien, juste une idée – qui nous a permis de tester justement l’intégration de l’image animée dans la prise de vue réelle. Il nous a proposé de le faire avec un personnage 3D. Il nous a donné un petit cahier des charges pour éviter que ça nous emmène dans des choses trop complexes, et quand Jung a vu ce personnage 3D, il a eu un coup de cœur : il a retrouvé l’âme de son personnage. A partir du moment où l’auteur a retrouvé l’âme de son personnage, pourquoi aller chercher une autre technique ?

 

Vous prenez le parti de la subjectivité dans le film, ce qui fait qu’il y a une chose qu’on ne nous donne jamais à comprendre : ce sont les motivations de la famille, notamment par rapport à leur grand désir de recueillir des orphelins…. Comment comprenez-vous cela, puisque cela ne nous est pas expliqué ?

J’ai posé la question à sa famille, mais ce n’était pas l’objet du film et ce n’était pas ce que Jung voulait raconter. Je pouvais avoir un regard sur la façon de raconter les choses ; je pouvais être force de proposition sur ce que je connaissais de son histoire et l’amener sur des terrains où il n’avait pas forcément envie d’aller, mais je ne pouvais pas l’obliger. C’était à lui de dire s’il voulait le raconter ou pas. Par contre, je pouvais avoir du poids sur la manière de le raconter. Et donc, les motivations de la famille, il ne souhaitait pas les partager.

 

Qu’est-ce qui vous semble le plus important à comprendre dans ce film ? La question des origines ou plutôt celle de l’intégration et de l’adaptation ?

Moi ce qui m’a intéressé, c’était le questionnement et le cheminement. C’est-à-dire que je n’avais pas de plan préétabli de là où je voulais l’emmener. D’ailleurs je ne voulais l’emmener nulle part ; je voulais l’accompagner. Ce qui m’intéresse, quand on traite un sujet, c’est de pouvoir évoquer un questionnement. Je pouvais avoir une opinion mais je ne pouvais pas l’imposer. On est dans le cadre de l’autobiographie ; c’est la règle du jeu dès le départ et je ne pouvais pas la remettre en cause. Quelles sont les questions que se pose un enfant quand il intègre une famille ? Que ressent-il, quelles sont ses réactions face aux paroles qui sont dites dans cette famille ? Comment il évolue ? Comment son questionnement évolue et comment peut-il encore évoluer à quarante ans, donc trente-cinq ans après avoir été adopté ? C’est ce cheminement qui m’intéressait, parce que j’avais le sentiment qu’au-delà de la question des adoptés, ce cheminement pouvait nous renvoyer à nous tous, spectateurs, quelque chose de notre propre histoire. Parce qu’on n’a pas besoin d’être adopté pour se poser la question des relations avec sa mère, les questions de la fratrie, de ses origines, de son passé familial. Si je suis expatrié parce que mes parents ont un métier qui fait qu’ils sont expatriés, j’ai la question du déracinement, de la double-culture, etc. C’est ce que j’appelle un « récit-miroir ».

 

Ça vous a donné envie de continuer dans l’animation de votre côté ?

Oui, pourquoi pas. Quand vous apprenez des choses, ça vous donne envie de refaire en ayant connaissance, de ne plus être dans la découverte, mais dans le savoir-faire. Mais après, c’est l’histoire qui me guidera, c’est-à-dire que je n’ai jamais fantasmé sur le fait de réaliser un film d’animation, et que je n’en referai que si j’ai une histoire dont je me dis que c’est par l’animation qu’il faut la traiter. Mais je ne vais pas me dire : « Tiens, je vais refaire un film d’animation ! Qu’est-ce que je vais inventer comme histoire ? » J’ai besoin que l’histoire me guide pour m’amener vers la manière de la raconter qui me semble la plus adéquate.

C’est ça qui a donné au film ce côté hybride du film, même pour les autres médias utilisés : les archives familiales, les archives historiques, les autres techniques d’animation sont venues se rajouter petit à petit, parce que, narrativement, c’était pertinent de les utiliser plutôt que de le faire en animation.

L’exemple que j’aime prendre, c’est les images d’archives de l’avion. Quand on voit ces couffins dans la carlingue de l’avion au pied des parents ; je trouve ça d’une force qui aurait été beaucoup moins importante si on l’avait  fait en animation, parce que vous auriez pu me dire : « Vous l’avez inventé, c’est dans votre imagination ! ». Alors que l’archive ancre l’image dans une réalité, lui donne du poids. Les films super 8 que j’ai retrouvés chez son oncle, au fin fond d’un garage, dans une caisse toute humide sont telles qu’une fois qu’on les a découvertes, on a eu envie de les utiliser ; l’enjeu artistique c’est de savoir comment. Comment les utiliser au profit d’une seule histoire, et ne pas faire plusieurs films dans le même film.

 

Quel regard portez-vous sur le cinéma d’animation en France ?

Je ne suis pas un grand expert du cinéma d’animation. Je trouve que le cinéma d’animation, comme la bande dessinée, comme tout un ensemble d’arts graphiques, peut apporter un certain nombre de choses à la manière de raconter des histoires. Je trouve dommage qu’on ait tendance à associer animation/ jeunesse, comme on associe bande dessinée/ jeunesse. Et je trouve dommage que le cinéma d’animation pour adultes ne prenne pas encore plus de place, même s’il y a eu Valse avec Bachir, même s’il y a eu Persépolis.

 


Propos recueillis par Raphaëlle Chargois

Couleur de Peau : Miel, de Jung et Laurent Boileau. Sortie le 6 juin 2012.


A lire sur ici-c-nancy.fr :

la critique du film 

 

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