Dans La Chasse, le réalisateur danois Thomas Vinterberg, lauréat de la Palme d’Or à Cannes en 1998 pour Festen, raconte la destruction progressive d’un homme soupçonné de pédophilie. Pour Ici-C-Nancy, il évoque son travail avec Mads Mikkelsen, les mécanismes de peur qui guident les personnages, et ses sources d’inspiration pour cette bouleversante histoire…

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Mads Mikkelsen, qui joue le rôle de Lucas, est très impressionnant. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ? Le film était-il spécifiquement écrit pour lui ?

Thomas Vinterberg : Non, c’était écrit pour Robert De Niro tel qu’il était à l’époque de Voyage au bout de l’Enfer, mais il n’est plus cette personne, et surtout il n’était pas disponible donc il fallait bien trouver quelqu’un d’autre ! En plus, il ne parle pas le danois !

  Bon, sérieusement, j’écris d’habitude en pensant à des acteurs précis. Mais ça ne marche pas avec Mads Mikkelsen, car il veut pouvoir lire le script avant de dire oui. J’ai donc dû écrire pour une silhouette imaginaire, puis je l’ai proposé à Mads, et il s’est avéré que Mads était vraiment enthousiaste à propos du rôle. Du coup, j’ai tout complètement réécrit. Je procède toujours ainsi ; c’est une partie de ma méthode.

  Au départ dans le script, vous avez juste un type très costaud, décrit en très peu de mots comme largmenet capable de prendre soin de lui-même ; et là vous vous retrouvez confronté à Mads, qui est très beau, un véritable héros, fort, qui est déjà tout ce que le personnage devait être. A partir de lui, c’est mon boulot de créer les conditions d’un plus grand conflit intérieur, de changer tout cela de façon à ce que les personnages aient plus de profondeur. Je l’ai donc complètement transformé, j’ai rendu le personnage plus humble.

  Et c’est devenu d’autant plus intéressant pour nous que ça nous a permis de faire le portrait de l’homme scandinave moderne, civilisé à l’excès, forcé de franchir les limites de cette vie civilisée et de renouer avec une certaine violence. Le Danois, le Suédois, et le Finnois ont l’air un peu « castrés », d’une certaine façon. Voyez-vous, lorsqu’on marche dans les rues de Copenhague, ce qu’on voit, c’est d’abord ces immenses masses de femmes en train de téléphoner avec leurs portables, pour le business. Et là, dix mètres derrière, on voit leurs maris avec une poussette, qui les suivent dans la rue ! L’homme scandinave est vraiment très doux. Je ne crois pas avoir déjà vu le même genre de situation à Paris, ni même à Nancy ! Et le fait que ce personnage très gentil, très respectueux et très doux soit obligé de sortir de ses gonds, de se dresser face aux autres et de donner un coup de boule à un autre personnage était vraiment très intéressant. Surtout quand il est joué par un étalon tel que Mads Mikkelsen !

  Je crois que ce comportement très civilisé, très chrétien, reposant sur l’idée qu’il faut toujours voir le meilleur des personnes et s’efforcer d’agir dans l’idée du Bien, que l’homme est toujours forcément bon, est très scandinave.

  Lors des avant-premières, j’ai entendu beaucoup de gens applaudir lors de la scène où, enfin, Lucas, donne un coup de boule à l’employé du supermarché ! J’ai trouvé ça très intéressant, parce que c’est assez peu civilisé, même si je dois bien avouer avoir ressenti exactement la même chose en écrivant ce passage !

 

Parce qu’on a envie qu’il se révolte face à l’injustice qu’il vit…

Thomas Vinterberg : Bien sûr ! Mais vous savez, je ne suis pas là pour satisfaire aux envies et aux idées des spectateurs sur l’humanité. Ce que je dois effectuer, c’est le portrait de cet individu, et de ses réactions dans cette situation. Et en fait, il réagit bizarrement, puisqu’il fait toujours ce qui est juste. Lorsque son fils l’appelle, il se rend au jardin d’enfants, il demande qui l’a appelé. Il se confronte à ses collègues, à l’enfant, à ses meilleurs amis. Il fait tout ce qui est juste alors que les gens s’attendent à ce qu’il mette le feu quelque part, qu’il pense à sa protection avant tout ! Et ce débat est très intéressant parce qu’il pose des questions fondamentales : Qu’est-ce que l’humanité ? Qu’est-ce qu’on est censé faire dans de telles situations ? Certaines personnes s’attendent à ce qu’il proteste, à ce qu’il s’écrie « Je suis innocent ! Je suis innocent ! », à ce qu’il panique, mais il ne fait rien de tout ça. Parce que ce serait réagir en coupable, ce serait confirmer les soupçons qui pèsent sur lui ! Mais lui, il agit calmement, paisiblement, il fait toujours ce qui est bien.

 

Pourquoi croyez-vous que les adultes soient si prompts à accepter l’inacceptable et refusent obstinément d’écouter le récit de la vérité ? Ils sont tout prêts et très rapides à croire que le pire est arrivé et forcent presque les enfants à mentir !

Thomas Vinterberg : Je pense que la peur qui surgit à ce moment-là, et que nous essayons de décrire ; cette peur que tous ces enfants aient été victimes d’abus peut rendre les gens vraiment cruels. Le propos du drame n’est pas de montrer un comportement rationnel, mais de montrer de quelle façon les gens perdent la tête dans ces circonstances.

  Mais vous savez, pour préparer ce film, j’ai fait des recherches à propos de nombreuses affaires judiciaires de ce type, notamment certaines affaires célèbres survenues en France…

                           

Outreau ?

Thomas Vinterberg : Oui, et dans toutes ces affaires, à un moment donné, les enfants essaient d’avouer qu’ils ont menti, mais les adultes qui les interrogent pensent qu’ils se rétractent parce qu’ils ont été menacés et ont peur des accusés.

  Evidemment, bien assis dans notre fauteuil, lorsque nous regardons le film, nous raisonnons mieux. Mais lorsqu’on fait partie d’une communauté où arrive ce type d’événement, il est beaucoup plus difficile de garder le recul nécessaire.

  L’interrogatoire de la petite fille est tiré du rapport d’un vrai interrogatoire issu d’un cas réel, mot pour mot, et j’en ai consulté des tas de ce genre. La seule chose que j’ai changé, c’est que je n’ai pas gardé l’intégralité de l’interrogatoire. On répétait à cette enfant des choses si épouvantables et si dégoûtantes trois fois par jour, tous les jours de la semaine ; tandis qu’elle était sans arrêt emmenée chez le gynécologue, que sa mère pleurait, que quelqu’un avait été jeté en prison et qu’un instituteur avait été viré de son job, qu’elle avait construit une complète illusion d’avoir été la victime de quelque chose d’horrible. Et elle avait donc commencé à y croire, elle était donc devenue la victime de cette illusion. Cela s’était ancré dans sa mémoire et en grandissant, elle avait souffert des mêmes syndromes que développent les victimes d’abus sexuels infantiles.

  Dans l’un des cas dont j’ai lu le compte-rendu, il y avait environ quatorze personnes accusées, dont le chef de la police locale, des femmes, et des représentants de l’ensemble de la société. 18 enfants ont tous raconté en détails exactement la même histoire à propos d’une cave, de gens avec des capuches et des choses qu’ils avaient été forcés de faire – je ne vais même pas donner les détails, parce que c’est vraiment trop horrible – et leurs récits étaient vraiment très similaires. Mais quand les enquêteurs ont fouillé la maison, ils ont découvert qu’il n’y avait pas de cave !

  Pour moi, cette histoire est assez significative de la façon dont le fantasme peut se construire. Et malgré tout, les gens continuent d’insister sur cette idée que les enfants disent toujours la vérité, de sacraliser la parole de l’enfant. Sans nier la réalité des cas d’abus sexuels et tout en comprenant la réaction de peur des adultes qui veulent protéger les petits, parce que je suis moi-même père, je crois que la réalité se situe sans doute dans l’entre-deux ; entre la peur de l’abus et la sacralisation de la parole infantile.

 

La Chasse, de Thomas Vinterberg, avec Mads Mikkelsen, Annika Wedderkopp, Thomas Bo Larsen, Susse Wold, Lasse Fogelstrom. Sortie le 14 novembre 2012.

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