INTERVIEW - Dans le cadre de l’opération Ciné Cool, le réalisateur belge Pierre Duculot et son actrice Christelle Cornil sont venus présenter Au Cul du Loup aux spectateurs nancéiens.

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Pierre Duculot et Christelle Cornil - crédit photo rtbf.be

 

Des spectateurs visiblement conquis par l’histoire de cette jeune femme qui fuit un quotidien morne à l’avenir incertain pour vivre, sur les traces de sa défunte grand-mère, une grande histoire d’amour avec une île aussi sauvage que séduisante : la Corse. Rencontre avec ceux qui continuent de porter le film comme une bonne nouvelle à tous les spectateurs en quête d’évasion, malgré des soucis de distribution qui en font, comme le rappelle un Pierre Duculot mi-blasé, mi-amusé « peut-être la sortie la plus confidentielle de France ».

 

Au Cul du Loup, c’est votre premier long-métrage. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer au long avec cette histoire-là ? 

Pierre Duculot : L’envie, tout bêtement, de faire un film. J’ai travaillé depuis près de vingt ans dans une dizaine de métiers liés au cinéma, et donc tôt ou tard dans ces conditions, ça nous titille d’écrire et de réaliser, et j’avais vraiment envie aussi de faire l’exercice du long-métrage. Mes racines personnelles sont belges, une bonne partie de ma vie récente s’est passée en Corse, et j’avais envie d’intégrer ces deux dimensions. Il porte sur un choix que des dizaines de personnes de ma génération, que je connais, et moi avons du faire : est-ce qu’on fait bien de rester dans des boulots très astreignants dans les grandes villes ; est-ce qu’on ne ferait pas mieux de penser à réinvestir ces campagnes qui sont si riches ? J’avais envie de parler de ça. J’avais envie de parler des racines, qui est un sujet qui m’intéresse aussi ; je viens d’une région où tout le monde est extrêmement mélangé et a des parents ou des grands-parents qui viennent de tous les pays, avec des histoires qui sont de l’ordre du secret de famille ; et puis j’avais envie de retravailler avec Christelle, avec qui j’avais fait des courts-métrages. On a commencé à travailler un peu ensemble, à construire nos carrières ensemble, même si je suis significativement plus âgé, et la logique pour moi c’était de passer au long-métrage avec elle.

Justement, je voulais vous demander ce qui vous lie autant, qu’est-ce qui fait cette envie de travailler ensemble depuis vos tous-premiers courts-métrages et cette volonté de passer ensemble au long ?

Pierre Duculot : D’abord les qualités intrinsèques de comédienne de Christelle, ça c’est une première chose. C’est clair depuis mon tout premier court-métrage : si ce film a circulé, c’est parce qu’on n’y voyait quasiment qu’elle. Il n’y avait que deux personnages féminins ; l’autre était très mutique, donc c’était clair que j’ai découvert le plaisir de travailler avec des comédiens sur ce court-métrage avec elle, et une confiance mutuelle s’est installée. Je pense aussi que quand on est un réalisateur belge et qu’on travaille avec des comédiens en leur demandant de venir et de passer leurs journées sur le plateau pour à peine 3 francs 50, quand on passe au long c’est logique de continuer à travailler avec les mêmes ! J’ai eu un peu cette envie de me dire « Si je grandis en cinéma, je grandirai avec elle, et donc je lui passerai un vrai premier rôle de long-métrage. » Je voulais aller jusque là et voilà, on l’a fait. Entre temps, j’ai fait aussi un autre court-métrage où il y avait un second rôle qui pouvait lui convenir, et qui consistait tellement en autre chose – c’était le rôle d’une bourgeoise insupportable – que ça m’intéressait de la mettre là-dedans. Voilà, il y a une envie d’approfondir un travail, de voir jusqu’où on peut aller avec quelqu’un. J’aime assez bien les réalisateurs qui travaillent avec des familles de comédiens, et qui, de film en film, en fonction bien sûr de ce qu’il y a dans la distribution, récupèrent des gens avec qui ils peuvent continuer ; dont ils connaissent les limites et peuvent écrire en pensant à eux. L’écriture en sera peut-être alors plus précise parce que le réalisateur va alors intégrer un truc que le comédien est ou fait bien ; quelque chose de personnel, un truc auquel le comédien va bien réagir. J’avais donc envie de continuer, et puis j’avais vraiment envie aussi de faire un film avec que des acteurs belges pas connus. Enfin pas très connus. C’est une histoire qui se passe dans une famille de la classe moyenne, donc je ne voulais pas que les gens se mettent en tête tel acteur en se disant : « Ah oui, mais c’est lui qui arrive à faire ça… » Je voulais qu’on oublie un peu ça. En travaillant, avec des comédiens pas trop connus qui viennent beaucoup de la télé et un peu du théâtre, je m’offrais ça.


Et vous, Christelle Cornil, comment avez-vous abordé le travail avec Pierre Duculot ?

Christelle Cornil : Sur ce film-ci, on a beaucoup travaillé en amont. Pierre m’a fait lire tous les scénarios – parce qu’il y a eu plein de versions différentes et donc ça a beaucoup évolué entre la première version et la version finale – et donc on se faisait des petits brainstormings ; on se voyait, on mangeait un bout et on faisait des lectures du scénario. On revenait dessus une fois, deux fois, trois fois. On s’arrêtait sur des trucs qui à la lecture ne nous semblaient pas fonctionner et sur lesquelles on avait des questions. Et puis Pierre écoutait les propositions et les remarques que je faisais, et puis il rentrait chez lui et décidait si oui ou non il partait dans une autre direction ou s’il continuait à travailler comme ça. Il y a d’autres personnes aussi qui ont lu le scénario et donné des avis. Et puis on a commencé à répéter ensemble, on a beaucoup travaillé avec Jean-Jacques, qui joue Marco, parce que Pierre voulait vraiment qu’on sente une relation de dix ans de vie commune avec tout ce que ça implique de connaissance de l’autre et parfois de lassitude ; mais aussi avec Roberto, qui joue mon papa et qui à l’origine n’est pas du tout comédien, mais qui est un syndicaliste belge qui était très, très, connu il y a une dizaine d’années. On a beaucoup avancé comme ça, et une fois sur le plateau, on a eu beaucoup moins de temps au niveau de la mise en scène, donc on était content d’avoir pu tous travailler en amont et d’avoir beaucoup parlé. Parce que finalement, je pense que le travail avec un réalisateur c’est surtout ça ; c’est beaucoup échanger sur ce qu’on veut raconter en commun : quelles sont ses idées, quelles sont les miennes, et comment on met tout ça ensemble ?

Dans votre réalisation, on sent aussi un goût pour le travail des textures, des matières, des couleurs… Cette plasticité était-elle nécessaire, qu’apportait-elle ?


Pierre Duculot : Je suis content que vous le disiez parce qu’on ne me le dit pas souvent et on m’a même un peu reproché d’avoir fait un téléfilm. Mais je pense qu’on s’est offert une image de cinéma avec, pourtant, la redcam, avec des moyens très réduits. C’était très instinctif, je ne peux pas expliquer pourquoi, mais pour moi, quand je suis dans la région du Hainaut, il y a toujours là quelque chose d’un peu « crachat », quelque chose d’un peu poisseux. Et j’avais envie – ça doit être la première chose que j’ai dû dire au chef-op – que ça ait l’air un peu épais. Je ne sais pas comment dire ça… D’obtenir quelque chose d’un peu blafard. Mais en même temps, sans tomber dans la caricature du cadre déprimant non plus. Donc par exemple, dans la région, les intérieurs sont plutôt joyeux, on ne les a pas fait trop moches.

  Et pour la Corse, ce qui me frappe, c’est cette minéralité, qui est à la fois grandiose et un peu inquiétante. C’est-à-dire que quand on regarde toute cette montagne - en plus c’est extrêmement humide - c’est un milieu qui est très beau mais dont on sent aussi qu’il ne faut pas s’y aventurer sans précaution, qui peut être aussi relativement hostile. Et je crois que c’est une belle métaphore de l’île ; a priori elle est très belle mais ce n’est pas forcément facile de s’y installer non plus. Et je voulais qu’on ressente ce caractère à la fois fascinant et effrayant du paysage sans faire de la carte postale. C’est-à-dire que j’aurais pu avant chaque séquence planter le décor en faisant un grand pano partout où on était et puis mettre la scène dedans mais j’ai préféré plutôt mettre les acteurs pas trop près et qu’on voit l’endroit où ils sont ; les inscrire dans un décor, et donc laisser ce décor s’installer de manière presque inconsciente.

D’où vous vient cette volonté de faire se rencontrer la Corse et la Belgique ?

Pierre Duculot : Ca vient de plein de choses. D’abord du fait que j’ai travaillé en Corse, que je connais cette histoire et j’ai souvent l’impression que l’image qu’on a de la Corse à la télé, c’est Mafiosa, L’Enquête Corse, et j’avais envie de montrer autre chose. J’avais envie de raconter la Corse que je connais, en hiver un peu sauvage, mais aussi celle où il y a une vraie solidarité qui ne se dit pas mais qui existe entre les gens. Et puis il y a aussi le fait que sur la Grand-Place de Charleroi où je vis maintenant, il y a un bistrot qui s’appelle « Le Bastian » et qui est tenu par des anciens Corses qui sont arrivés avec leur grand-mère en même temps que les Italiens dans les années 1940 et je les ai beaucoup entendus parler de la Corse.

  Mais j’avais aussi envie de montrer la Belgique : je viens de Charleroi qui est maintenant une région un peu sinistrée, un peu comme Longwy. Elle vivait grâce à la sidérurgie et cette population est maintenant un peu laissée à elle-même, mais elle est restée chaleureuse et se démerde grâce à une grande solidarité. J’avais envie de parler de ces gens-là et je trouvais que dans leur manière d’être, il y avait quelque chose d’un peu similaire à celle des villageois corses que je connais, donc j’ai pensé que la confrontation des deux, pour aussi improbable qu’elle soit, pouvait être intéressante.

 

Qu’est-ce qui vous a inspiré ?  

Pierre Duculot : Ce qui m’a inspiré, c’est un faisceau de choses. D’abord – et j’en parlais avec Christelle sur le tournage d’un court-métrage – je voulais raconter une femme de trente ans. En plus, elle avait plus ou moins trente ans quand j’ai commencé à écrire. C’est quelqu’un qui s’émancipe. Au départ ce personnage n’est pas trop malheureux : elle est entourée, on s’occupe d’elle ; elle a un copain qui est plutôt attentionné même s’il est un peu bourrin ; et des parents qui sont un peu envahissants même s’ils ne veulent que son bien. Et elle a une sorte de sursaut ; il y a cette situation d’oppression dont elle ne se rend pas compte et qui ne lui semble pas bien méchante jusqu’à ce voyage qui va être déclencheur. J’avais envie de raconter le parcours de cette femme, j’avais envie de parler de ces deux régions ; j’avais envie de parler de l’hésitation entre les deux. Et puis j’avais envie de parler aussi du secret de famille, qui est un sujet qui m’a toujours un peu travaillé.

  Une petite anecdote personnelle : quand j’avais quinze ans, je suis parti camper dans les Cévennes avec des copains, et je m’étais passionné pour les histoires des Camisards dans les Cévennes. Quand j’ai raconté ça à ma mère en rentrant, elle m’a dit : « Mais tu sais, ta grand-mère qui est décédée – elle est morte en 1954, je ne l’ai jamais connue – elle était des Cévennes. » Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné on se sent dans un pays chez soi ? J’aime bien la phrase de Brassens, « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part », parce que j’ai horreur de tout chauvinisme et de tout raisonnement du type « Chez moi c’est mieux », mais à un moment donné il y a des régions qui nous parlent parce qu’on y est lié d’une manière ou d’une autre. Et c’est ce que j’avais envie de montrer. Cette fille arrive dans un village, et normalement dans 99 % des cas, elle s’en foutrait. Pourquoi est-ce qu’elle reste, pourquoi elle se laisse fasciner par ce paysage qui est grandiose mais qui est inquiétant ? Si vous crevez un pneu l’hiver dans un sentier détourné, vous savez, vous attendez jusqu’au printemps qu’on vienne vous chercher !

Finalement je ne suis pas cinéaste. J’aime le cinéma, j’ai fait des films, je l’ai quand même appris, et puis c’est un sport collectif et je suis bien entouré. Mais l’idée de faire un film, pour moi, c’était surtout l’idée de voir comment c’était, de tenter l’expérience, et surtout de mettre dedans tout ce qui me touche, de travailler avec des gens que j’aime bien. Tout ça mis bout à bout se retrouve dans le film.

 

 

auculdu loupminiAu Cul du Loup, de Pierre Duculot, avec Christelle Cornil, François Vincentelli, Marijke Pinoy, Jean-Jacques Rausin, Roberto D'Orazio… 

Sortie le 22 août 2012.

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