Vos Droits. Chaque semaine, Maître Déborah Carmagnani avocate au barreau de Nancy répond aux questions des lecteurs de ici-c-nancy.fr.
Chaque lundi, les explications juridiques de Maître Carmagnani, avocate au barreau de Nancy photo d'illustration
Je vous écris, car je suis un peu désespérée, je suis maman d’une magnifique petite fille de 18 mois, elle est ma raison de vivre, malheureusement pas pour son père biologique qui aujourd’hui ne donne plus de nouvelles depuis à peu près 6 mois (lorsque j'ai trouvé un nouveau compagnon). C’est quelqu’un de mauvais, violent et qui m’a fait subir des actes forcés. Il ne s’est jamais occupé de sa fille. Des faits difficilement prouvables, monsieur est malin et moi naïve, jamais de marques, jamais en public.
J’ai peur pour mon enfant, car il s’attaque à plus faible (animaux, égarements). Fort heureusement je suis tombée sur quelqu’un de bien et ça me pousse à réfléchir, je ne veux pas de pension pas d’argent, mais par contre j’aimerais qu’un jour, si j’épouse un homme que ma fille ne porte pas le nom de son père ( ce qui est actuellement le cas) et que mon mari devienne père adoptif de ma princesse. De façon à gommer la différence de nom et surtout que mon nouveau conjoint possède des doits par rapport à mon enfant. C’est lui son père, il l’éduque, la soigne, lui apprend plein de choses, la borde le soir. Un vrai papa... Comment faire pour faire restreindre les droits du géniteur ?
La réponse de Déborah Carmagnani, avocate au barreau de Nancy.
Les règles de filiation, de droits et obligations de chacun des parents, de changements de noms et d’adoption sont strictement prévues par la loi et tendent à préserver les liens entre l’enfant d’une part et ses parents biologiques d’autre part.
Votre enfant portant le nom de son père, il appert que celui-ci l’a forcément reconnu à la naissance. Cette reconnaissance lui confère la qualité de père ce qui implique des droits et obligations.
Visiblement, le père de l’enfant n’exerce pas ses obligations, à savoir la participation financière à l’entretien de l’enfant et l’éducation de l’enfant. J’entends bien qu’à ce jour, vous n’entendez pas l’obliger à exercer ses obligations, mais sachez que vous seriez en droit de saisir le juge aux affaires familiales afin de demander au minimum une contribution financière au père de l’enfant.
En tout état de cause, quelle que soit votre décision sur ce point et même si le père n’exerce pas ses droits, le seul fait de ne pas les exercer ne les fait pas disparaître. Il pourrait très bien pendant la majorité de l’enfant saisir ce même juge pour demander que lui soit attribué un droit de garde de l’enfant.
Sauf cas extrême et très grave, l’autorité parentale est conjointe, c’est-à-dire que vous la partagez et seul un juge peut priver le père de ce droit, mais les cas sont extrêmement rares. A priori, le père biologique de votre enfant restera toujours juridiquement le père de votre enfant.
Concernant le nom de votre enfant, la situation est la même. Le nom de votre enfant a été choisi conjointement par vous-même et le père de l’enfant et ainsi déclaré à l’état civil. Vous ne pourrez changer le nom de l’enfant que par une demande commune des 2 parents. Et même dans ce cas, vous ne pourrez pas choisir le nom de votre nouveau conjoint, mais uniquement votre nom de jeune fille. En effet, votre fille n’entretien aucun lien de filiation avec votre nouveau conjoint, sauf à obtenir son adoption.
Si l’enfant a une filiation paternelle établie, comme dans votre cas, enfant reconnu, et si ce père est vivant, l’adoption ne peut être qu’une adoption simple et nécessite le consentement du père biologique. Si le père biologique refuse, le « beau-père » peut demander au juge aux affaires familiales une délégation partielle d’autorité parentale, de façon à exercer légalement la part d’autorité parentale qu’il assume déjà au quotidien. Même si ce n’est pas une adoption, cela lui permettra d’avoir un statut reconnu juridiquement auprès de l’enfant.
Si le père de l’enfant est vivant, mais qu’il ne s’occupe pas de son enfant, le tribunal peut éventuellement passer outre le refus du père, mais il ne s’agit pas d’une décision facile à obtenir. Le tribunal peut prononcer l’adoption s’il estime abusif le refus de consentement opposé par l’un des parents, en l’occurrence pour vous le père biologique, lorsqu’il s’est désintéressé de l’enfant au risque d’en compromettre la santé ou la moralité. Sont considérés comme s’étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.
L’article 348 alinéa 1er du Code Civil prévoit que : « Lorsque la filiation d’un enfant est établie A L’EGARD DE SON PERE ET DE SA MERE, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption. ».
L’article 348-6 précise que : « Le Tribunal peut prononcer l’adoption s’il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l’un deux seulement, lorsqu’ils se sont désintéressés de l’enfant au risque d’en compromettre la santé ou la moralité. ».
Dans une décision de la Cour d’appel de Paris en date du 10 novembre 1995,il a été jugé qu’était abusif le refus du père de consentir à l’adoption de sa fille pour laquelle il n’avait jamais payé de pension alimentaire mise à sa charge et dont il s’est totalement désintéressé...
L’intérêt de l’enfant étant à la base de tout raisonnement en la matière, n’est-il pas dans l’intérêt de votre enfant d’avoir un père juridiquement et « moralement » parlant?
Donc même en cas de refus du père biologique, votre situation mérite réflexion et seul le juge pourra y apporter une réponse. Mais sachez que ce type d’adoption est très dur à obtenir.
La requête est à présenter au tribunal de grande instance dont relève le domicile du couple. Elle peut être adressée au procureur de la République sans recours à un avocat si l’enfant a moins de 15 ans.
Le tribunal s’assure que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant (même si les conditions sont remplies, il peut ne pas la prononcer) et qu’elle ne compromet pas la vie familiale (notamment si l’adoptant a déjà des enfants).
Une fois adopté, l’enfant est considéré comme né du couple, à partir du jour du dépôt de la requête en adoption, avec quelques nuances. L’adoption (et le changement de nom) est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant. L’enfant est inscrit sur le livret de famille du couple en tant qu’adopté simple.
L’enfant porte le nom de l’adoptant accolé au sien (sauf à obtenir du tribunal, avec le consentement de l’adopté s’il a plus de 13 ans, qu’il ne porte que le nom de l’adoptant). S’il portait le nom de son père biologique, l’enfant peut continuer à le porter, accolé à celui de son père adoptif, ou prendre le nom de sa mère accolé à celui de son père adoptif, ou encore ne prendre que le nom de sa mère ou de son père adoptif. S’il portait le nom de sa mère, il peut le conserver avec adjonction du nom de l’adoptant ou ne prendre que le nom de l’adoptant, mais il ne peut pas conserver uniquement le nom de sa mère.
Les liens juridiques de l’enfant avec sa famille paternelle ne sont pas rompus, mais distendus. Un droit de visite peut être organisé au profit du père biologique ou d’autres membres de sa famille paternelle biologique. L’enfant conserve certains droits et devoirs alimentaires et ses droits héréditaires (s’il décède sans héritier, sa famille biologique et sa famille adoptive partagent la succession).
L’adoption simple est révocable en cas de « motifs graves ». La révocation peut être demandée « contre » l’enfant par son père adoptif (seulement lorsqu’il aura atteint l’âge de 15 ans) ou « contre » le père adoptif par l’adopté (après sa majorité), mais aussi par le ministère public, par le père biologique et sa famille et la mère en représentation de l’enfant (ce dernier cas n’est pas expressément prévu par la loi). La révocation est prononcée par le tribunal de grande instance et prend effet au jour du dépôt de la requête.
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