NANCY. La place Stanislas accueille du samedi 28 septembre au dimanche 3 novembre 2019 son 16ème Jardin éphémère intitulé "Empreinte". Une installation grandeur nature et une identité graphique forte en écho cette année aux problématiques environnementales...
La place Stanislas a ouvert samedi matin son 16ème Jardin éphémère. Intitulé "Empreinte", ce jardin aux merveilles imaginé et conçu au cœur du service des Parcs et Jardins de la Ville de Nancy souligne avec délicatesse la puissance, mais aussi la fragilité de la nature. Cette année, la thématique s'inscrit autour de la préservation de l'environnement et de la sauvegarde de la biodiversité à travers un fil rouge : l'empreinte dessinée autour de quinze scènes végétales, elles-mêmes composées de près de 16 200 végétaux.
Un jardin inspiré de la dernière œuvre de Emile Gallé "La Main aux algues et aux coquillages"
L'inspiration de la thématique est venue d'un article dans une revue où était évoquée la main aux algues et aux coquillages d'Émile Gallé, sa dernière oeuvre avant de disparaitre, explique Pierre Didierjean, directeur des Parcs et Jardins de la Ville de Nancy.
Le contour même du jardin éphémère, en forme de main vise à "faire toucher du doigt ces sujets cruciaux". Si l'homme laisse une marque indélébile, il doit réfléchir à l'impact de celle-ci. Le jardin se veut aussi une recherche esthétique qui peut amener à une prise de conscience écologique. Là encore, c'est la main des jardiniers de la Ville de Nancy, mais aussi celle des artisans, des ferronniers ou des menuisiers, qui façonnent le végétal.
Les matériaux et végétaux utilisés pour le jardin éphémère sont issus de la récupération des jardins éphémères précédents ou des décorations végétales du Livre sur la Place. Ils seront eux-mêmes ré-exploités par la suite, soit dans les massifs fleuris ou dans les parcs de la Ville, soit conservés aux serres municipales pour des usages futurs, soit valorisés en engrais verts.

Les 15 scènes végétales décryptées
1 – Dans une main de terre . «Arrête, la terre c’est sale !», quelle idiotie cette phrase entendue enfant lorsqu’on plongeait avec délices la menotte dans la glaise beige, luisante et douce. La terre est la vie. Jouer avec, composer ses plantations, est une joie pour le cultivateur. Il la soupèse, la frotte entre ses doigts, la renifle, l’effrite. Sa main terreuse sait alors quelle plante va s’accorder à la matière noble. Pour le jardinier, le végétal est aussi source de création aérienne. Il tresse le saule toujours vivant. Les volutes vertes se courbent élégamment, compositions géométriques qui s’élèvent, légères et mobiles.
2 – Full métal pâquerette. Dur comme fer. Certes, le métal n’est pas un tendre mais il est quand même façonné par l’homme depuis l’âge du fer. Alors ? Coincé entre le marteau et l’enclume, l’artisan le façonne à la main, le tord en des formes toujours plus complexes. La plante sait aussi se mettre au fer, adopter une teinte noire, violette ou bleu acier. Ciboulettes, romarins, thyms, blés bleus et pâquerettes poussent à même le pavé, de chaque côté des tunnels d’acier, pour mener le visiteur à l’extrémité de l’ongle, jusqu’aux courbes striées de l’empreinte digitale.
3 - Gallé dans l’eau. En médecine chinoise, l’eau, froide et humide, s’écoule vers les profondeurs. Sur le majeur du jardin main, l’eau ruisselle des hortensias, des extrémités, vers la statue de Stanislas, monarque en son île. Elle a capté l’énergie liquéfiée d’un toit de verre azuréen pour serpenter entre des oursins ferrugineux ou des oursins méduses. Cypérus Akhenaton et Cléopatra, en végétaux conquérants, ont colonisés les bassins. Le monde marin a fourni à Emile Gallé, figure de proue du mouvement de l’Ecole de Nancy, nombre de ses motifs décoratifs dont « la Main aux algues et aux coquillages », l’ultime verrerie du maître a été source première d’inspiration pour notre jardin. Elle nous a guidés au tout début de la création, sans jamais nous lâcher la main.
4 - L’artisan du mouvement. La plante pousse, monte, croît, en expansion continue. Le bois, matière toujours vivante, réagit différemment au façonnage de la main de l’homme, de l’artisan. Il se contracte, se tord, se redresse, se dilate, se patine et s’embellit. Il travaille, dit-on. Les variations de bruns, jaunes et ocres développent alors l’envie des végétaux. Chrysanthèmes, Libertia peregrinans, carex et digitales jouent leurs partitions, enchantent la matière noble. Le bois répond aussitôt, se tresse en contorsions toujours plus acrobatiques. Dans la nature, l’émulation est permanente. Le jardinier agit en chef d’orchestre de cette symphonie du mouvement.
5 - Pouce brûlant. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », constate Jacques Chirac, Président de la République Française, en ouverture de l’assemblée plénière du IVe Sommet de la Terre, le 2 septembre 2002 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Dix sept ans plus tard, l’incendie n’est pas éteint. Les atteintes majeures aux grands équilibres marins et terrestres continuent. Ce pouce en feu est un symbole. Couvert de chrysanthèmes rougeoyants et de gaminées pourpres, il en est rouge de colère. Les jardiniers l’ont bordé de briques, tel un foyer brûlant qu’on voudrait enfin contrôler, circonscrire, apaiser.
6 - La famille, on y croit. À la base même du pouce, la voyante peut lire la ligne de la famille. Entrelacs de stries et de courbes imbriquées. Compliquée la vie de famille ? Certes, c’est un lieu de rebondissements permanents, d’intrigues mais aussi de grandes joies. Les plantes connaissent aussi cela, les hauts et les bas de la croissance. Des hauteurs différentes se succèdent, alternances de cannes de Provence, Hélianthus, salicifolius et topinanbours. Au final, un espace assez dense mais avec de larges ouvertures qui donnent à voir la vie du jardin à travers le végétal. Un spectacle toujours changeant.
7 – Peau paumée. Au début des pèlerinages vers Compostelle, les pèlerins qui quittaient la Navarre débouchaient sur de vastes plateaux dénudés, sans véritable chemin balisé. Certains semblaient perdus et faisaient signe de la main avec les doigts écartés. Les paulmados, les paumés, tendaient simplement la paume de la main évoquant vaguement la coquille Saint-Jacques ou simplement la feuille de palmier. Sur le jardin, la paume est un jeu de vagues de Pennisetum rubrum et de chrysanthèmes. Douces ondulations vertes, moelleux de la peau, de la paume.
8 - La vie est une ligne. Si la vie était une ligne, cela se saurait, elle tracerait une voie à suivre. Mais rien n’est aussi évident et l’existence est souvent parsemée de pointillés. L’homme hésite sur son chemin. Si notre table suit les contours de la ligne de vie chère aux voyants et devins, c’est pour explorer un début de solution à nos problèmes : que les visiteurs s’y retrouvent souvent, s’attablent et se parlent. Sur son plateau de bois brut, le plus long jamais réalisé dans les jardins éphémères nancéiens, les empreintes de main témoignent de l’action des concepteurs du jardin, qu’ils soient jardiniers, artistes, scientifiques ou artisans.
9 - Clairière à la place. Une place est une agora, un lieu de rencontres et d’échanges. A Nancy, la minérale Place Stan joue pleinement son rôle social et politique. Dans la forêt, c’est la clairière qui éclaire les populations d’arbres. Oasis de lumière crue, les hommes s’y retrouvent, aspirent les bouffées d’oxygène dégagées par ces respirateurs infatigables, véritables usines de dépollution. Planter des arbres dans les villes, créer des oasis urbaines, est donc plus qu’utile. En ces temps de réchauffement climatique avéré, mêmes les plus climato-sceptiques d’entre nous se retrouveront un jour dans la clairière.
10 - Tristes tropiques. La déforestation de plus en plus intensive est la principale cause des feux qui dévastent régulièrement la forêt amazonienne. L’empreinte laissée par les flammes restera marquée pour longtemps dans la mémoire des arbres. Que faire ensuite ? Protéger, sanctuariser pour tenter de sauver ? Oui, sans doute, mais aussi changer radicalement nos modes de vie, se réaccorder avec cette nature dont nous ne sommes qu’un petit élément. Pour réapprendre l’humilité, rien de tel qu’un séjour en forêt. L’immobilité, la stabilité, la permanence des arbres nous donne le chemin à suivre, un chemin forestier donc. Encore faut-il oser le prendre…
11 - Fonds épuisés. Un puits sans fond, des bouteilles plastiques à la mer qui renferment un message amer, celui de notre aptitude à détruire ce que nous avons de plus cher, cette chère mer. Sous l’effet des courants, des milliards de fragments de plastique s’y sont amalgamés. Ils ont été multipliés par cent dans le Pacifique en quarante ans. Les emballages se multiplient et la pollution s’emballe. Le « 7e continent de plastique » est une plaque de déchets de la taille d’un tiers des Etats-Unis ou de six fois la France. Largement de quoi épuiser les fonds.
12 – Isoloir contre la solitude. « Les fleurs et les plantes n’ont pas de mains pour manier le monde », ironise Emanuele Coccia, philosophe italien. L’homme, qui possède des mains, a donc cette responsabilité de diriger son avenir sur terre. Il peut le faire collectivement mais aussi individuellement. Dans cet isoloir, il vous est proposé de réfléchir, de dessiner rapidement un avenir plus vert. Quelle action vais-je mener pour mieux protéger cette nature ? Se poser la question devrait logiquement initier l’action. Seul ou avec d’autres !
13 – Son art. Comment éveiller les consciences, réveiller une soif de nature, empreinte presque effacée dans des cerveaux urbains déconnectés. Par le son, par le Totem son. Comme les totems indiens, troncs d’arbres plantés dans le sol, ils encerclent le jardin, en sont les gardiens. Il suffit d’y entrer, de s’installer. A leur contact, les plantes murmurent, la matière vivante respire, les éléments et matières parlent et le message passe, amplifié par un étrange pavillon, douche entonnoir travaillée de bois, de métal ou d’osier, puis par l’oreille, formidable petite machine humaine qui transforme le son en sens.
14 - Elémentaires. En 2019, les cinq doigts de la main jardinée se sont posés sur la place Stanislas, comme les cinq éléments de la médecine chinoise se sont imposés plus de mille ans avant notre ère. Les guérisseurs ne recherchent plus une explication surnaturelle aux maladies mais observent la nature pour y découvrir des schémas et interpréter les maladies. Dans l’ouvrage intitulé Shang Shu, écrit sous la dynastie des Zho de l’Ouest (1000-771 avant J.C.), on peut lire : « Les Cinq Eléments sont l’Eau, le Feu, le Bois, le Métal et la Terre. L’Eau descend et humidifie, le Feu s’élève, on peut courber et redresser le Bois, on peut mouler et durcir le Métal, la Terre permet de semer, de faire pousser et de récolter. »
15 – Madame Irma. La fameuse Madame Irma aurait bel et bien existé. Voyante, elle exerçait après guerre à Paris, plus précisément dans le 13e arrondissement, au 4e étage d’un petit immeuble de quartier. Qui dit voyance dit chiromancie et lecture des lignes de la main. La ligne de vie, de tête, de cœur, du destin, de chance ou de santé au creux de la paume de la main gauche livrerait des secrets sur votre futur. Charlatanisme diront certains, en réaction épidermique ? En tous cas, ces lignes sont inspirantes pour dessiner un jardin, bien plus que le marc de café.
L'édition 2019 du jardin éphémère sera ouverte au public pendant un peu plus de cinq semaines, du samedi 28 septembre au dimanche 3 novembre.