CINÉMA. Distribué par Walt Disney Company, le film documentaire "Mon Maître D'École" de Emilie Thérond sort ce mercredi 13 janvier dans les salles de cinéma. Rencontre avec la réalisatrice lors de son passage à Nancy.

Pour réaliser Mon Maître d'École, Emilie Thérond s'est replongée dans son enfance en suivant la dernière année d'exercice de son ancien instituteur après 40 ans d’enseignement. Ancienne écolière de l'unique école de Saint-Just-et-Vacquières, un village de 250 habitants dans le Gard, la réalisatrice livre d'abord sous les objectifs des caméras, un lieu paisible où le temps paraît suspendu. Dans ce village pittoresque perdu dans la garrigue, pas de stade, de cinéma ni même de piscine, mais une école de la République en vieilles pierres qui transpire d’authenticité et un instituteur à la fois touchant et bouleversant, Monsieur Burel. Un film qui rappelle la douceur et la fraîcheur des films de Pagnol, l’atmosphère paisible des vieilles écoles, la sympathie et l’humanité de certains instituteurs comme Clément Mathieu interprété par Gérard Jugnot dans Les choristes, il y a aussi les rires et les interrogations des enfants, leurs premiers conflits, et les loisirs à la campagne...
C’est à l’âge de 5 ans et six années durant que Émilie Thérond fréquenta l’école du village, dans la classe unique de Jean-Michel Burel. Plus tard, elle est devenue journaliste et réalisatrice pour de nombreux magazines d’information notamment pour l’agence de presse Capa ou Eléphant et compagnie comme « 7 à 8 » sur TF1, « Droit d’inventaire » et « A notre Santé » sur France 3, « On aura tout lu » sur France 5. Passionnée et experte des reportages de terrain, elle a puisé dans les années de sa tendre enfance en plantant ses caméras pendant une année scolaire dans l’école d’un maître qui l’a marqué à jamais. Au total, la réalisatrice confie qu'elle disposait de 150 heures de rushes conduisant à un long travail de montage. Un film documentaire initialement prévu pour la télévision qui sera finalement produit pour le cinéma par le comédien François-Xavier Demaison bouleversé par les images, le film sera ensuite distribué par Walt Disney Company. Une belle histoire pour un documentaire tendre et attendrissant dans lequel Emilie Thérond contribue à redonner les lettres de noblesse à l’école et surtout livrer une véritable déclaration d’amour aux métiers de l’éducation... Réjouissant !

RENCONTRE - avec la réalisatrice Émilie Thérond
L'appréhension avant de poser les caméras et la solidarité de tout un village...
Émilie Thérond. Avant de tourner, j’avais peur, il avait pu changer après ce qu’il avait vécu, traversé, j’appréhendais un peu (NDLR : L'instituteur Jean-Michel Burel), mais j’avais quelques indices... Deux ou trois mois avant le tournage, j’avais retrouvé mes camarades de classe que je n’avais pas vus depuis 35 ans et je leur avais parlé d’un film sur la dernière année de Burel. Ils étaient tous emballés, ils m’ont tous dit, si tu veux le faire on t’aide, on te soutiendra, on t’accueillera au village, j’ai senti une vraie solidarité autour du projet. Ça m’a encouragé. Entre-temps, il était devenu maire, un pilier du village et surtout j’ai retrouvé un village qui s’était épanoui en 40 ans. À l’époque, monsieur Burel avait déjà une haute importance, il a apporté une convivialité dans le village qui n’existait pas auparavant.
Un instituteur peu académique
Émilie Thérond. Jean-Michel Burel a passé quarante ans de sa vie, voué aux enfants et au village, il était secrétaire de mairie, il faisait la fiche d’imposition des agriculteurs. En fait, il éduquait tout le monde, la mairie est ouverte depuis qu’il est maire de 9 h du matin jusqu’au dimanche à 15 h. C’est son lieu, toute sa vie... c’est ce qu’il aime. Dans le film, il se souvient comment les villageois l’ont accueilli alors qu’il n’avait que 21 ans. Déjà, il s’est dit, je ne peux pas les décevoir, je dois être à la hauteur de leurs espoirs...
Il a l’art de tout dédramatiser et ça se voit dans le film lorsqu’il dit à Théo (NDLR : un élève de sa classe qui se dispute avec un camarade) : « Mais pourquoi tu lui dis qu’il est gros ? Il est aussi gros que toi ! ». En off, il me disait aussi « on ne veut pas tous en faire des médecins, on va s’embêter s’il n’y a que des médecins, il faut bien qu’on soit différents ». Il y a de l’espoir dans ses paroles, car il faut s’épanouir dans la vie pour être heureux...

Une classe unique et ouverte pour s'épanouir...
Émilie Thérond. Ça laisse le temps aux enfants qui n’ont pas la même maturité, le temps de s’épanouir et à l’instituteur aussi de ne pas mettre la pression... L’enfant est en mouvement tout le temps, ce qu’il ne parvient pas à faire tout de suite il pourra l’apprendre plus tard. Alors, quelques fois, c’est vrai, il faut rabâcher, c’est de la patience. La difficulté pour les instits c’est qu’ils ont une classe et à la fin de cette classe, il faut que le programme ait été fait pour que le maître d’après ne soit pas mécontent, en disant tu n’as pas fait ça. Il y a une pression aussi chez les instits d’aujourd’hui, une problématique que lui n’a pas eue.
Jean-Michel Burel n’a pas de directeur, il a une certaine liberté et un inspecteur extraordinaire qui l’a laissé faire ses méthodes. Et puis, il est à la campagne et comme il le dit : « À la campagne, je n’ai pas de stade, de cinéma, on va dans la nature pour que les enfants grimpent aux arbres, il faut bien qu’ils fassent du sport ». Il s’adapte à l’univers. Il a préféré garder son autonomie. Ça ne peut pas se faire à Paris lorsqu’on a 35 enfants par classe. En revanche, ce n’est pas antinomique, à la ville il y a des choses formidables comme à la campagne, ce que je trouve formidable c’est de montrer comment ça peut se passer à la campagne, même pour des enfants de la ville. C’est vrai, c’est une évasion, c’est exotique et en même temps c’est leur pays, c’est la France.
Sa classe est « un autre chez nous », il le dit dans le film, « ils sont chez eux », je n’ai jamais vu un autre endroit dans ma vie où une classe appartient plus à ses élèves. Normalement une classe c’est sacré, c’est le professeur qui ouvre qui ferme. On ne s’amuse pas au tableau pendant des heures, c’est inaccessible le week-end, après l’école, c’est vraiment une salle. C’était notre endroit lorsqu’on était petit et c’est resté l’endroit des enfants, quarante ans après. Un endroit où on se sent bien et heureux.
Le comédien François-Xavier Demaison producteur
Émilie Thérond. Je lui avais montré, trois minutes d’images, il avait les larmes aux yeux. Lui a dit qu’il a eu les « poils » selon son expression, il a tout de suite été touché par Monsieur Burel et charmé par les valeurs qu’il incarnait... Il a conduit le film au cinéma.
Un hommage aux enseignants
Émilie Thérond. C’est très important pour Burel et pour moi que les enseignants comprennent que c’est un hommage à l’enseignement parce que ces hommes et ces femmes ne s’en rendent pas compte, mais ce sont vraiment des héros pour nos enfants. Quand ils font leur métier avec passion et qu’ils donnent un petit bout d’eux même, même quelque chose d’imparfait, ça laisse des traces dans notre vie d’adulte et de bons souvenirs.
Le choix de la musique
Émilie Thérond. Ça n’a pas été simple, je voulais une musique organique, avec seulement des instruments, de la guitare, du piano et pas de musique d’ordinateur. Je désirais rappeler les années 70, avec de la folk, de la guitare pour donner un côté nostalgique sans être triste. Il fallait une musique simple et pure, car c’est un film brut avec des séquences de vie dans lequel rien n’a été refait, éclairé, donc il ne fallait pas que la musique écrase les images et les rendent trop pagnolesques. J’ai pensé à Maxim (NDLR : Maxim Nucci alias Yodelice, chanteur et compositeur français) pour qu’il regarde les images, il est venu et m’a dit « OK ». Il a enregistré un peu plus d’une semaine dans son studio à Paris en live, il a composé sur l’image directement.
Vos filles ont vu le film ?
Émilie Thérond. Elles l’ont vu, elles étaient très présentes sur le tournage, la petite qui a 3 ans, ça fait plusieurs années qu’elle vit avec « Bubu », c’est une partie de leur vie... La dernière fois elle revenue de l’école en me disant « tu sais ma maîtresse elle ne me fait pas beaucoup rire, je crois qu’on devrait lui dire qu’un instituteur qui ne fait pas rire ses élèves doit être pénible » (rires)... Elles sont complètement imprégnées !
Le prochain projet...
Émilie Thérond. Je ne sais pas, bien sûr ce sera un doc, ce qui m'interesse, c’est de filmer la vie, les gens à qui on donne peu la parole, qu’on voit peu ou pas assez à mon goût...





