À l’occasion de la sortie de "Jean Valjean : la naissance d’un honnête homme", adaptation singulière des Misérables, nous avons rencontré à Nancy le réalisateur Éric Besnard ainsi que Bernard Campan, l’un des acteurs principaux. Le film ne prétend pas revisiter l’œuvre monumentale de Victor Hugo dans son ensemble, mais s’attache à un instant précis, le moment où, au sortir du bagne, Jean Valjean peut encore basculer.
Il existe des adaptations qui veulent tout embrasser, reconstituer chaque bataille, chaque détour de l’histoire comme on déplierait un roman feuilleton. Éric Besnard, lui, fait le choix inverse, ralentir, observer un homme avant qu’il ne devienne un symbole. Le film se concentre sur les premières pages des cinq tomes de Les Misérables, en 1815. Après dix-neuf ans de travaux forcés pour avoir volé une miche de pain, Jean Valjean est rejeté de tous, errant parmi les collines et les villages, condamné à n’être plus qu’un matricule. C’est cette brèche, cette naissance douloureuse, que le réalisateur, auteur de Délicieux (2021), Les Choses simples (2023) ou Louise Violet (2024), décide de raconter. Non pas l’épopée, mais l’origine d’un homme.
Valjean sort du bagne brisé, marqué par la loi plus que par la faute. Tout semble écrit d’avance, une vie de misère, puis la violence comme seul langage. Et pourtant, à l’instant l'obscurité semble avoir gagné et les portes se referment à son passage, un homme de foi l’accueille. Une main tendue qui fissure le déterminisme, ouvre une brèche dans le châtiment. De cette rencontre naît la possibilité d’un cheminement intérieur où la vengeance pourrait céder place à la rédemption.
Rencontré à Nancy au lendemain de l’avant-première de son long-métrage, Éric Besnard insiste sur ce refus de « relecture ». Il en corrige le mot, « L’idée, ce n’était pas justement de faire une relecture des Misérables, c’était d’essayer d’aller à l’origine du texte et à l’origine de la création du personnage le plus connu de la littérature française ». Pour lui, adapter Hugo au cinéma ne consiste pas à copier son style, mais à transmettre son souffle. « Je dis toujours que Hugo est le premier auteur à avoir parlé directement au peuple ». Son film prolonge ainsi, à l’écran, l’énergie d’une langue foisonnante sans chercher à l’imiter. Les visages éclairés à la bougie, les silences lourds, les mots pesés comme des condamnations remplacent les longues tirades du XIXᵉ siècle celle d'une modernité du dépouillement.
Bernard Campan, méconnaissable
Pas de barricades, pas d’émeutes, seulement un homme qui pourrait basculer autrement. Dans ce récit resserré, le casting a son importance, Grégory Gadebois incarne un Jean Valjean massif, cabossé, ayant perdu vingt-cinq kilos pour se défaire de son enveloppe trop lourde. Éric Besnard sourit en confiant : « J’ai écrit le film parce que je savais que Grégory existait ». Face à ce colosse prêt à tout casser, le film place une force plus modeste, mais tout aussi puissante, la bonté. Bernard Campan, méconnaissable sous son calme épiscopal, interprète l’évêque de Digne, Monseigneur Bienvenu. Une figure qui incarne une humanité non pas innée, mais choisie.
Interrogé sur ce rôle, l’acteur répond avec simplicité : « Si Éric m’a choisi, c’est qu’il a vu en moi un Monseigneur Bienvenu. Alors j’ai essayé de me détendre, de trouver cette paix intérieure. Ce genre d’homme ne force rien. Il accueille ». Il ajoute qu’il n’a pas « joué » la bonté, mais cherché à la laisser advenir, après avoir relu les premières pages de Victor Hugo « pour m’en imprégner ».
Autour d’eux, le film réunit Isabelle Carré, lumineuse Baptistine, sœur de l’évêque, et Alexandra Lamy, gouvernante aussi prudente que touchée par la peur du monde. Enfin, dans un contrepoint saisissant, Albert Dupontel apparaît brièvement au bagne dans la peau de Claude Gueux, figure sombre et possible futur de Valjean, comme l’ombre de ce qu’il aurait pu devenir sans cette main tendue.
Sortie du film mercredi 19 novembre 2025
