Ombline- A tout juste 29 ans, Pierre Cazes réalise un premier film d’une force remarquable sur la lente reconstruction d’une jeune femme qui, devenue mère en prison, fait le choix de la non-violence pour pouvoir élever son fils. A l’occasion de la présentation du film à Nancy, l’équipe d’Ici-c-Nancy.fr l’a rencontré.

cazes-ncy

photo Catherine Dante

 

 

Vous avez déclaré qu’à l’origine du film, il y avait un véritable désir de travailler sur l’idée de la maternité. Pourquoi ?

Stéphane Cazes : Eh bien, c’est vraiment le sujet du film. La prison, c’est juste le contexte, la maternité c’est le sujet. C’est le lien mère-enfant qui m’intéressait.

  Au début, j’ai commencé par lire des livres sur la maternité, par demander à ma mère, à ma sœur, comment ça se passait avec leur enfant. C’est vraiment ce lien mère-enfant qui est à l’origine de ce projet et au cœur du film. Au cours du tournage, ça a été la chose la plus dure à obtenir, et la plus importante. Mais je ne saurais pas dire pourquoi.
  Il y a encore quelque chose de très important pour moi, c’est le thème de la filiation, le fait que l’on reproduit souvent un peu le même parcours que ses parents, ce qui rejoint un peu le thème du lien mère-enfant. Le film prend réellement une dimension familiale à la fin. Quelque part, Ombline n’a jamais eu de famille, et durant tout le film elle va essayer de trouver la force de se recréer la famille qu’elle n’a jamais eue. Ca aussi, c’est quelque chose qui me touchait beaucoup.

Comment avez-vous préparé ce projet ?

Stéphane Cazes : J’ai commencé par lire tout ce que je trouvais, par regarder tous les documentaires qui existaient. Ensuite je suis entré en contact avec des associations du milieu carcéral, et j’ai rencontré des femmes qui sortaient de prison, des surveillantes, des travailleurs sociaux… Ensuite, j’ai commencé à intervenir en prison avec l’association Genepi, c’est le « Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées ». Pendant deux ans, j’allais une à deux fois par semaine faire du soutien scolaire ou des activités culturelles, et parallèlement, j’écrivais le scénario en m’inspirant de tout ce que je vivais. Tous les personnages du film sont donc inspirés de femmes que j’ai rencontrées en prison. J’ai aussi étudié un peu de sociologie pour essayer d’aborder le sujet avec un autre regard, pendant deux ans.

Cette association, Genepi, avec laquelle vous avez fait du bénévolat en prison ; comment  l’avez-vous connue ? Qu’est-ce que ça vous a apporté, comment avez-vous ressenti cette expérience ?

Stéphane Cazes : C’est énorme, ce que ça m’a apporté… Je ne saurais pas dire exactement comment je l’ai connue, parce que quand j’ai commencé à me documenter sur le milieu carcéral, je l’ai connue très vite comme plusieurs autres associations telles que l’Observatoire National des Prisons, Ban Public, Parcours de Femmes à Lille… Il y a donc plein d’associations que j’ai découvertes à peu près en même temps.

    Le but du Genepi, c’est de favoriser la réinsertion des personnes détenues, et il y a trois types d’action :

-            La première, c’est l’intervention en détention. C’est une demi-journée par semaine, consacrée à faire du soutien scolaire ou des activités culturelles. Là, ce que ça m’a apporté, c’est vraiment la rencontre  avec les personnes détenues… Après c’est immense, ce que ça m’a apporté ! Il y a énormément de scènes dans le film qui sont directement inspirées de situations que j’ai vécues. Je prends un exemple : La scène dans laquelle on voit que le personnage de Yamina ne sait pas lire ni écrire. J’ai fait beaucoup d’alphabétisation. Il y a énormément de personnes qui ne savent pas lire en prison. Il n’y en a que 3 % qui ont le bac. Tout ça m’a fait me poser beaucoup de questions !

-                Une autre action de Genepi, c’est de favoriser la formation et la réflexion. Il s’agit de lancer des pistes, d’organiser des journées de réflexion avec des invités de tous bords ; que ce soit d’anciens gardes des sceaux tels que Robert Badinter, des directeurs de prison, des anciens détenus, des journalistes qui ont travaillé sur le thème de la prison… Enormément de gens viennent ainsi parler de la prison. On lance des pistes de réflexion, et parfois on se retrouve à 150 étudiants dans un amphi à débattre du sens de la peine, de l’impact de la nourriture dans la détention…

-                Et il y a un troisième type d’action, c’est la sensibilisation auprès du public. C’est de parler aux gens de la prison, de ce qu’on y vit et de ce qu’on y fait. Quelque part, c’est un peu ce que je fais avec ce film ! Ca m’a beaucoup imprégné, le Genepi, ça m’a tellement bouleversé de faire ça…

Et puis j’ai remarqué plein de choses différentes. J’étais plein de préjugés avant ; je pense qu’il y a beaucoup de préjugés qui circulent dans la société à propos de la prison et que j’avais envie de casser. Par exemple, j’entends très souvent dire qu’il y a d’un côté les victimes et de l’autre les coupables, comme s’il y avait des Gentils et des Méchants. Or, sur le terrain, j’ai remarqué que toutes ces femmes qui étaient en prison souffraient de quelque chose. Certes elles ont toutes fait quelque chose de grave et c’est pourquoi elles sont là, mais elles ont aussi toutes été battues, frappées, violées, et je n’exagère vraiment pas quand je dis ça, c’est hallucinant la vie qu’elles ont eue ! Il y a même des femmes que j’ai rencontrées dont je me suis dit que je ne pourrais même pas écrire des personnages comme elles parce que personne n’y croirait ! Elles ont donc été victimes par le passé, et c’est peut-être pour ça qu’elles sont devenues coupables… C’est souvent les enfants qui se font battre qui battent après ! L’être humain est complexe, et sans pour autant excuser les faits qui les ont menées en prison, je trouve important de comprendre d’où ça vient, et de s’assurer dans la sanction que les personnes ne recommencent pas en sortant.

Est-ce que votre engagement en milieu carcéral, notamment envers les femmes-mères, continue ? Est-ce que vous êtes encore en contact avec Genepi ?

Stéphane Cazes : Avec ce film, oui, déjà. Et c’est vrai que dans l’idéal, si ce film pouvait faire changer les choses, ce serait super ! Je sais que dans d’autres pays, les femmes qui ont des bébés ne sont pas incarcérées. En Argentine, elles ont des bracelets électroniques. En Italie, les femmes enceintes ne vont pas en prison. Je ne me suis pas documenté sur tous les pays, il y a sûrement des pratiques dans des pays dont je ne suis pas au courant, mais en tous cas, il y a des peines alternatives à l’incarcération. Et je trouverais ça intéressant d’explorer ces pistes. Je suis persuadé que la prison n’est pas un lieu pour les bébés, et que si on pouvait trouver des alternatives à l’incarcération, ce serait beaucoup mieux. Si le film pouvait changer ça, je serais comblé.

  Ce que j’aimerais dire aussi, c’est qu’on ne prend jamais en compte les enfants des personnes détenues. Je voulais aussi parler d’eux, parce qu’on les oublie totalement, et lors d’un jugement, on pense à la victime – ce qui est totalement normal –, on pense à l’agresseur, mais on ne pense jamais aux enfants de l’agresseur, qui eux ne sont pas responsables de ce qui s’est passé, mais qui le reçoivent de plein fouet et en subissent les conséquences. Et puis, par rapport à mon engagement, je continue à être proche de toutes ces associations, même si pour mon prochain film, je me tourne vers autre chose. Mais j’aurai toujours un pied là-dedans, et je pense que toute ma vie, je serai attentif à ces questions-là.

Est-ce que le film sera diffusé dans les prisons ?

Stéphane Cazes : Il a été diffusé à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Globalement, les retours sont plutôt bons. Il y avait environ 80 personnes détenues, et elles ont adoré le film. (Ca a été filmé par le JT de TF1 mais je ne sais pas s’ils ont passé le reportage. Il y aura peut-être des images. Il y a eu un article dans Le Parisien aussi). Les femmes détenues ont adoré. Il y en a même une qui a dit que c’était sa vie aussi, qu’elle avait vécu ce moment où on entrait dans sa cellule pour prendre l’enfant ; qu’elle était allée au mitard et qu’elle-aussi, elle avait eu une montée de lait au mitard… Les femmes détenues, anciennes détenues et les hommes détenus adorent. Au niveau du personnel pénitentiaire, c’est mitigé. Les surveillantes n’aiment pas. Elles trouvent que la vision de leur métier est trop dure. Moi j’ai essayé d’être nuancé, mais elles, elles trouvent que c’est trop négatif.

  J’ai remarqué aussi quand le film a été projeté à quel point elles souffrent du manque de reconnaissance de leur métier. Ce n’est pas très bien vu d’être surveillante de prison, dans la Société, et je ne m’étais pas rendu compte qu’elles en souffraient à ce point-là. Quand je les ai vues regarder le film, j’ai halluciné. Avant même que le film commence, elles avaient de gros, gros a priori, parce qu’à chaque fois qu’il y a un film avec des surveillantes de prison, elles se font allumer – hommes comme femmes, là, le problème, c’est vraiment le métier de surveillant pénitentiaire. Et elles étaient là à analyser chaque petit détail, à chercher la petite bête, à vouloir tout le temps tout critiquer ! Je pense donc qu’il y a là un profond mal-être… Le reste du personnel pénitentiaire a bien aimé : il y avait la directrice, les conseillers d’insertion et de probation, une puéricultrice qui travaillait à la nurserie de Fleury-Mérogis, des gens de la protection judiciaire de l’enfance, des avocats…Pour résumer, les détenues adorent, les surveillantes ne l’aiment pas du tout, et le reste du personnel pénitentiaire aiment bien. Ils ont des petits trucs à dire mais ils aiment bien le film.

D’un point de vue technique, comment filme-t-on un espace aussi intéressant mais complexe que la prison ? Surtout qu’il y a un gros travail sur la lumière dans votre film…

Stéphane Cazes : C’est vrai qu’on avait deux gros défis de mise en scène.   Le premier, c’était vraiment de tourner dans un espace si petit, et ce qu’on a fait, c’est qu’on a reconstitué les cellules en studio, comme ça on a pu reculer les murs, on avait plus d’espace pour mettre la caméra, on a pu prendre du recul, j’ai pu varier les plans pour que ce ne soit pas trop redondant dans la mise en scène. On a essayé avec la chef-op de travailler chaque plan à la lumière, qu’elle ait un sens narratif, que ce ne soit pas juste joli ou pas joli mais que ça raconte quelque chose. On a fait ça pour tous les postes techniques, pas que pour la lumière.

  L’autre grande difficulté, c’était les bébés ! Il y avait 21 bébés sur le plateau sur tout le tournage. Et notamment pour le personnage de Lucas, qui grandit de l’âge de 0 à 2 ans et demi, sur un tournage qui a duré 31 jours, on a dû trouver 7 bébés qui se ressemblent et qui ressemblent à Mélanie Thierry, et il fallait qu’on y croit ! Ca peut paraître évident mais Mélanie n’était pas la mère de ces sept enfants, et pourtant il fallait qu’on ressente l’amour maternel. Si on ne le sentait pas, le film tombait à l’eau, on n’avait pas envie qu’elle retrouve son fils à la fin. Et ça, si ça fonctionne, c’est dû à Mélanie, qui a passé beaucoup de temps avec les bébés avant le tournage et pendant le tournage pour créer cette complicité.

C’est votre premier long-métrage, donc même si on ne peut pas trop le prédire, on peut supposer que vous allez vous tourner vers un cinéma assez social, et donc, je voudrais savoir quelles sont vos références, les cinéastes qui vous influencent ?

Stéphane Cazes : Il y en a plein. Au niveau engagé, je dirais Chaplin, pour le travail du scénario, sur le fond et la forme, pour tout ce qu’il arrive à dire. Pour sa capacité à écrire des intrigues qui partent des personnages mais qui dans le fond racontent énormément de choses. Pour la mise en scène et la présentation des personnages, Coppola, Spielberg, Zemeckis… J’adore Terry Gilliam pour son travail du scénario et de la déco… Pour le travail du son, je dirais Jacques Tati et Jacques Demy… Je pourrais continuer longtemps sur le travail de l’univers du film ; le lien qu’il y a entre la déco et le costume, et puis les plans-séquences… Il y en a beaucoup !

C’est surprenant parce que vous citez des cinéastes qui globalement ne font pas du tout le même genre de films que celui que vous avez fait !

Stéphane Cazes : C’est vrai que globalement, je ne suis pas du tout fan des frères Dardenne par exemple, et je n’aime pas du tout la mise en scène documentaire. Par exemple, Polisse  est un film que j’aime beaucoup, je l’ai trouvé très fort, mais je n’ai pas du tout aimé la façon dont c’était mis en scène. Le cinéma apporte tellement de possibilités, c’est la somme de tellement d’arts, que ce soit la déco, le costume, le maquillage, la lumière, le son, la musique, le jeu d’acteurs, le scénario… C’est magnifique, et quand c’est mis en scène de façon documentaire, je trouve que ça n’utilise que la moitié de ces arts et de ces possibilités. Et puis ce que j’aime, moi, dans la mise en scène, c’est la poésie. J’ai adoré Polisse, ou Entre les Murs, qui est aussi une mise en scène documentaire. Mais ce n’est pas mon univers. Par contre, j’adore Ken Loach.

Pour vos prochains films, pensez-vous qu’il vous faudra également passer des mois en préparation sur le terrain ?

Stéphane Cazes : Pour moi, oui, c’est obligatoire. Je pense qu’il est impossible de réaliser un bon film sans faire ça. J’ai remarqué que pour tous les films que j’avais adorés, les scénarios avaient été écrits en deux, trois, quatre ans et qu’il y avait un vrai travail de documentation. C’est ça qui fait la richesse du scénario. Evidemment il n’y a pas que ça ; il y a aussi et surtout les personnages, l’univers du film. Mais c’est super important. Et en plus, c’est super épanouissant ! Le seul problème c’est que ce n’est pas payé et que c’est donc parfois compliqué de vivre avec ça. Mais c’est super épanouissant d’aller dans un univers… J’imagine que Maïwenn a dû apprendre plein de trucs en réalisant Polisse et que ça a changé sa vie, et que ce qui a changé sa vie, ce n’est même pas de faire le film, mais le temps qu’elle a passé avec ces gens ! Moi, ça a changé ma vie, le contact de ces femmes détenues.

  Et là pour mon prochain film, je fais pareil ; j’essaie de passer un peu de temps dans un bidonville au Burkina-Faso pour voir comment ils vivent dans les bidonvilles et comment ils se débrouillent pour l’accès à l’eau, et c’est génial ! C’est la chance de ce type de métier, donc oui, je ferai ça tout le temps. Et puis moi, je ne connais pas grand-chose. Tout ce que je connais, c’est le monde du cinéma et puis mon petit milieu bourgeois parisien qui n’a pas grand intérêt, donc à part si je veux faire un film là-dessus – mais il y en a déjà eu et ce ne sont pas des sujets qui me parlent – si je veux faire un film intéressant, il faut que je me documente et que je casse mes préjugés, parce que j’en ai toujours – comme tout le monde, je pense – et sur tout, et quand je connais vraiment le sujet, je m’aperçois que les choses sont différentes.   Là, je suis en train de me documenter sur Gandhi, sur Martin Luther King, sur la non-violence, et c’est passionnant !

 

Ombline,

de Stéphane Cazes, avec Mélanie Thierry, Nathalie Becue, Corinne Masiero, Catherine Salee. Sortie le 12 septembre 2012.

 

Pin It

Les dernières infos

Les plus lus

27-03-2024 By Rédaction

Jobs d'été : la Métropole du Grand Nancy recherche des…

Meurthe-et-Moselle. La Métropole du Grand Nancy ouvre sa campagne de jobs d'été afin de pourvoir plusieurs dizaines d'offres ...

11-04-2024 By Rédaction

"Nature en Fête" se prépare au Parc Sainte Marie de…

LOISIRS. Pour la nouvelle édition de Nature en Fête au Parc Sainte Marie de Nancy, 125 exposants se déploieront à l'i...

18-04-2024 By Rédaction

Nancy : aménagements du secteur Jean-Jaurès et modification du plan…

Ligne 1. Dans le cadre des aménagements du secteur Jean-Jaurès à Nancy, des travaux interviendront du 22 av...