Cinéma- L’œil toujours pétillant, Patrice Leconte, incorrigible rieur, réalise un premier film d’animation basé sur le roman de Jean Teulé, Le Magasin des Suicides, et réussit là une comédie vacharde et inventive, véritable pépite d’humour noire chantant à travers le destin d’infortunés suicidés la délectation de vivre.

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« Avec la crise qui vous défrise, / Quoi de plus doux qu’une mort exquise ? / Soyez lucides et pas timides / Y’a pas à dire : Vive le Suicide ! / Entrez, entrez / N’ayez pas peur / Nous sommes ouverts jusqu’à vingt heures / Tout est limpide / Rien n’est trompeur / Vous faire mourir, c’est notre bonheur ! »

  Tel est le charmant et enjôleur slogan de la famille Tuvache, qui, en guise de petite boutique des horreurs, tient dans une ville terne et grise le Magasin des Suicides, seul ilot coloré en ce quotidien urbain morne. Le commerce de produits à succès tels que les cordes pour se pendre et les fioles de poison, aussi bien que celui de marchandises un peu plus pointues, comme des katanas des plus élégants, s’avère-t-il extrêmement florissant. Certes, il existe bien quelques individus de mauvais goût préférant se jeter sous les bus que de dépenser leurs derniers deniers pour se procurer de quoi s’occire avec raffinement.

  Mais cette petite contrariété est de faible importance comparée à l’affront que représente la naissance chez les Tuvache d’Allan, un enfant qui n’est que sourires et joie de vivre. Rien de tel pour pourrir l’ambiance mortifère ! Et c’est bien l’intention du perfide Allan ; las de voir se perpétuer l’hécatombe, il décide de monter avec les autres enfants du quartier une vaste campagne pour rendre l’espoir à ses concitoyens.

  Il n’est, dans le fond, pas si rare de voir le cinéma aborder le thème délicat et terrible de la mort, sous un jour ironiquement décalé. Cela a depuis bien longtemps été fait dans des productions à visée enfantine, telle que la féérique et cauchemardesque Famille Adams (Barry Sonnenfeld, 1991) ; ou encore dans les célèbres films d’animation à la poésie macabre de Tim Burton (L’Etrange Noël de Monsieur Jack, 1993 et Les Noces Funèbres, 2005). La figure de l’assassin a même été traitée sous la forme héroïsante d’un faux-documentaire, dans une comédie grinçante qui révéla Benoît Poolvoerde, C’est Arrivé Près de Chez Vous, de Rémy Belvaux (1992).

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Cependant, peut-on à présent badiner avec la mort, et pire, avec le thème du suicide ? En adaptant le roman de Jean Teulé, Le Magasin des Suicides, Patrice Leconte répond oui, et réussit à briser cet ultime tabou, avec une causticité et une fantaisie non seulement remarquables, mais extrêmement réjouissantes. Car le rire est une formidable arme contre l’effroi, et dans cette ambiance certes funeste mais jamais morbide, se chante une irrépressible envie de vivre. Une envie, un goût, tant la pulsion de vie est rattachée à l’idée de saveur – ce que révèlera un final aussi incongru que délectable, et dont, pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs, nous ne dirons rien.

  Sans jamais sombrer dans le didactisme, le moralisme, ni succomber à l’apitoiement que pourrait facilement générer un tel sujet, Patrice Leconte réalise alors un petit bijou d’animation dont toute pesanteur est absente. Une prouesse tant scénaristique que formelle, servie par une 3D pour une fois irréprochable. Car le graphisme est tout simplement superbe et a l’intelligence d’employer la technique 3D, non pour tenter de renforcer un critère de réalité souvent inabouti, mais pour accentuer l’aspect ludique de ce dessin animé d’humour noir. Les personnages, les décors, surgissent alors à l’image avec malice, comme dans un livre pop up, plein d’éléments de carton en relief et d’hologrammes, excitant la faculté d’imagination et l’onirisme de tout un chacun. Ainsi, ce Magasin des Suicides enchante la vision, et prouve à nouveau, si besoin était, que comme le confesse lui-même Patrice Leconte, le film d’animation n’est plus exclusivement réservé aux enfants. Il peut désormais demeurer accessible à tous tout en abordant des sujets a priori graves, et c’est une excellente nouvelle pour l’art séculaire qu’est à présent le cinéma.

 

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Le Magasin des Suicides, de Patrice Leconte. Film d’animation, d’après le roman de Jean Teulé, avec les voix de Bernard Alane, Isabelle Spade, Kacey Mottet Klein, Isabelle Giami, Laurent Gendront, Pierre-François Martin-Laval, Eric Métayer, Urbain Cancelier… Sortie le 26 septembre 2012.

Imaginez une ville où les gens n’ont plus goût à rien, au point que la boutique la plus florissante est celle où on vend poisons et cordes pour se pendre. Mais la patronne vient d’accoucher d’un enfant qui est la joie de vivre incarnée. Au magasin des suicides, le ver est dans le fruit…

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