Cinéma- Réalisateur prolixe, à la carrière protéiforme, alliant films-potaches aux répliques-cultes comme la série des Bronzés ; films en costume situés dans un XVIIIe siècle aussi clinquant que cruel (Ridicule, 1996, nommé pour l’Oscar du Meilleur Film Etranger, lauréat du BAFTA Award du Meilleur Film Non Anglophone, et des Césars du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur en 1997) ; films intimistes reposant sur des duos de comédiens à la fois étonnants et émouvants (La Fille Sur le Pont, avec Daniel Auteuil et Vanessa Paradis,1999 ; L’Homme du Train avec Jean Rochefort et Johnny Hallyday, 2002 ; Confidences Trop Intimes, avec Sandrine Bonnaire et Fabrice Luchini, 2004), Patrice Leconte est encore une fois là où on ne l’attendait pas.

  Son nouveau film, sur les écrans le 26 septembre, est une adaptation en dessin animé du roman à succès de Jean Teulé, Le Magasin des Suicides. Un film à la fois sombre et délicieusement drôle, qu’il est venu présenter aux spectateurs nancéiens durant la dernière opération Ciné Cool …

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Jusqu’à ce qu’on vous propose d’en faire un film d’animation, vous dites que vous pensiez le livre inadaptable…

Patrice Leconte : Oui, je trouvais, oui. Enfin, inadaptable par moi-même. C’est-à-dire que tout le livre est adaptable si on veut.

  Sauf que moi j’ai un univers – si tant est que j’aie un univers – enfin disons une vision beaucoup trop réaliste, naturaliste, qui m’aurait poussée, si j’avais fait le film en prise de vue réelle, à faire malgré moi un film épouvantable ! C’est-à-dire que cette histoire-là racontée de façon réaliste – des gens qui s’achètent des fioles de poison, qui trouvent la vie trop lourde et qui se suicident – ça aurait été, je pense, terrible, insoutenable. Pas joyeux en tous cas, ça aurait été trop noir et je ne le pouvais pas. Et il fallait donc absolument qu’on trouve un truc qui permette de faire le film, de le décaler, qu’on ne soit pas dans le réalisme. Et bizarrement, ce n’est pas moi qui ai eu cette idée, mais le producteur, Gilles Podesta. Et j’ai trouvé ça brillant parce que je me suis dit : « Ah ben voilà ! On va être ailleurs, dans un autre monde. »

  Par exemple, au début, il y a la chanson de Charles Trénet, Y a de la joie, et un pigeon – qui va par la suite lui-même se suicider sur le périphérique – qui passe au milieu de corps qui tombent en hurlant. C’est vrai que cette image, si jamais on fait ça en vrai, on pense au 11 septembre et aux malheureux qui pour échapper aux flammes ont sauté par les fenêtres des tours, et ce sont des images pour l’instant dans notre société et dans notre disque dur, intolérables, insupportables.

  Là, je ne dis pas que ça devient poilant, mais je pense que c’est acceptable en dessin et que c’est tellement dérisoire que ça en devient presque cocasse. Même si ce sont quand même des gens qui se jettent par les fenêtres. Ce qui est cocasse, c’est déjà qu’il y a Charles Trénet qui chante Y a de la joie derrière et qu’il y a un pigeon effaré de voir des corps tomber du ciel. Il y a donc un ensemble qui rend la chose cocasse.

  C’est un truc de funambule, quand même, parce que je voulais vraiment que le film soit à la même seconde très noir et très joyeux. Et évidemment, j’ai fait un film très positif, euphorisant. Il donne plus envie de vivre que de mourir, enfin du moins j’espère ! Il y a la musique, les chansons, cette fin un peu kitsch mais totalement positive, un sentiment joyeux et optimiste, malgré le titre !

Jean Teulé a déclaré que ça ne le dérangeait pas du tout que tous les gens qui adaptent son roman en modifient allègrement la fin ; qu’au contraire c’était bien que tout le monde se le réapproprie. Mais avez-vous quand même discuté avec lui de la manière dont vous vouliez l’adapter ?

Patrice Leconte : Non non, on n’en a pas discuté du tout, parce qu’il m’a laissé faire. Il m’a téléphoné – je le connais, c’est un ami, je l’adore – et il m’a dit : « Vraiment, fais ce que tu veux ».

  Quand j’étais en train d’écrire l’adaptation, un jour, il m’a passé un coup de fil et il m’a demandé : « Ah oui, au fait, tu vas changer la fin, hein ? ». Ce n’est pas qu’il me le suggérait, mais c’était une certitude ; un sous-entendu : « Tu vas changer la fin, hein, comme tout le monde ? » Et j’ai répondu « Oui, évidemment ! » Il m’a dit : « Ca ne m’étonne pas, il n’y a que moi qui aime ma fin ! » Son éditeur lui a dit « Mais enfin tu ne vas pas faire cette fin-là ! » Tout le monde, toutes les adaptations de son bouquin dans d’autres pays sur scène – l’aventure de ce livre est incroyable : il y en a des adaptations pour la scène en Chine, en Russie…  – tous changent la fin.

  C’est affreux parce que ce petit bonhomme qui est la joie de vivre incarnée et qui lutte contre cette morosité ambiante et contre tous ces gens qui veulent se faire sauter le caisson, lui-même se jette du haut de la tour. Enfin, on ne sait pas s’il lâche prise, s’il n’a plus de force ou s’il veut en finir avec la vie ; c’est très ambigu ; et Jean Teulé, ça le fait tordre de rire, que les lecteurs tournent la page pour voir s’il va s’en sortir et qu’il n’y ait plus rien ! C’est la fin et ils ne le comprennent pas, c’est incohérent au possible. Et lui, il est content !

Est-ce que vous pensez que c’est nécessaire, pour adapter une œuvre et se la réapproprier, de modifier des choses importantes, quitte à avoir l’air de la trahir ?

Patrice Leconte : Eh bien, c’est-à-dire qu’il faut traduire ; et traduire, ça veut toujours un peu dire « trahir » aussi. Et adapter, c’est aussi adopter. C’est-à-dire qu’il faut s’approprier les choses. Sinon – mais c’est le phénomène absolument fascinant de l’adaptation – on n’est qu’un illustrateur. On prend le livre et on lit « Il monte l’escalier, harassé » donc on dit à l’acteur « Tu montes l’escalier, harassé ? Hop, coupez ! ».

  Il y a une expérience qu’on ne pourra jamais faire, hélas, parce que  je pense qu’elle n’intéresserait personne ; mais je pense que si on donne un bouquin – celui-ci ou un autre – à dix réalisateurs, si tant est qu’ils aient un peu de personnalité et de talent, ça doit donner dix films différents. Sur la même base, mais dix films différents. Et je trouve que c’est normal !

  Un truc dont les gens ne se rendent pas compte, c’est que quand on est lecteur d’un livre, consciemment ou inconsciemment, on se fait sa propre petite adaptation sur l’écran qu’on a à l’intérieur de nous-mêmes. Quand un livre convoque des images, et après, quand on va voir un film adapté d’un livre qu’on a lu et aimé, on est souvent déçu, simplement parce que la vision du cinéaste ne se superpose pas avec la vision qu’on en avait, nous. Et on se dit « Ah, il l’a faite brune, je la voyais blonde, il est con ! » mais non ! Parce que ce n’est pas votre adaptation contre la mienne, c’est votre adaptation à côté de la mienne, et qui est encore autre chose que le bouquin ou que celle de votre belle-sœur quand elle va le lire. Moi, ce qui m’intéresse, quand je vais voir un film qui est adapté d’une œuvre que j’ai aimée, ce n’est pas de voir si ça va ressembler à ce que j’avais imaginé, mais de me demander « Tiens, comment il le voit, lui ? » Des fois ça me plaît, d’autres fois ça ne me plaît pas… Mais quand ça ne me plaît pas, ce n’est pas parce que ça ne correspond pas à ce que j’avais en tête.

  Et là dans le bouquin de Teulé il y a plein de trucs que j’ai virés parce que je ne les aimais qu’à moitié, plein de trucs que j’ai inventés. Teulé a été épatant parce qu’il m’a dit : « Ah, le père qui propose à son fils le tabac, j’aurais dû y penser, je suis vert ! » Moi, j’étais content !

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Vous parliez tout-à-l’heure de la fin très ambiguë du livre de Jean Teulé  mais d’une certaine façon vous avez déjà traité un thème similaire dans La Fille sur le Pont, où deux personnes se rencontrent et se redonnent goût à la vie, et la fin est également ambiguë…

Patrice Leconte : La fin de La Fille sur le Pont ? Ah ben quand même à la fin de La Fille sur le Pont, il y a une vraie histoire d’amour qui peut commencer. Jusque là, le sentiment amoureux leur planait un peu au-dessus de la tête, pendant tout le film, et puis ils n’osaient pas trop se le dire mais le ressentaient follement. Les derniers mots qu’elle dit à la fin, Adèle, c’est « On ne peut pas continuer comme ça. Quand c’est pas moi qui saute, c’est vous qui sautez, on ne peut pas continuer comme ça. » Et Daniel Auteuil, enfin Gabor, lui demande « On ne peut pas continuer quoi ? » Et elle lui répond : « A ne pas être ensemble ». Et ils sont ensemble, fin du film, ils ne vont plus se séparer, jamais, jusqu’à la fin de leurs vies !

Oui, mais il y a quelque chose d’un peu onirique dans ce film…

Patrice Leconte : Oui, parce qu’on est à la frange, au bord de quelque chose qui est vrai, qui n’est pas vrai… Mais ils existent ces personnages-là, et sur le pont de Galata, à la fin, ils sont ensemble, j’en suis sûr ! Du moins, je veux le croire.

Du coup, qu’est-ce qui vous parle dans ces histoires de gens désespérés ?

Patrice Leconte : Ce qui me parle, même si je suis un privilégié, et que ça m’est facile de vous dire ce que je vais vous dire, c’est que la vie est plus forte que tout ! Le sentiment de vie, surtout. Je ne suis pas le ravi de la crèche, qui est en train de dire à tout le monde : « La vie est belle, profitez-en les gars ! » parce que la vie n’est pas belle pour tout le monde. Je le sais bien. Mais le sentiment de vie est à mon sens, plus fort que tout. C’est pour ça que j’ai infiniment de respect et d’émotion pour les gens qui passent à l’acte de suicide. Qui enjambent pour de vrai le balcon, et qui se jettent. Parce que je me dis qu’il faut vraiment en être arrivé à une telle dernière extrémité pour n’avoir plus espoir en rien du tout que je trouve que ça force le respect. Ca ne donne pas envie de se moquer en tous cas.

  On a tous connu, dans notre entourage proche ou lointain, des gens qui ont mis fin à leurs jours et on n’a pas senti le coup venir. Généralement on ne sent pas le coup venir. On apprend que quelqu’un s’est jeté sous un train et on est glacé d’effroi parce qu’on ne voyait pas qu’il allait mal. C’est un phénomène absolument terrible, le suicide.

  Bon, ça va devenir un peu triste comme conversation…

  Mais je pense que pour se suicider, il faut avoir autant de courage que de lâcheté. Lâcheté devant la vie, parce que c’est la fin de tous les soucis, on est peinards après ça, tranquilles ; mais il faut du courage aussi pour arriver à en finir. Mais c’est une tentation légitime, et encore une fois on ne peut pas ironiser, se moquer ou critiquer les gens qui ont choisi de recourir à cette solution finale, on ne peut pas…

  Voilà, maintenant la soirée est foutue !

On vous parle de ça dans les débats ? C’est un sujet qui revient ?

Patrice Leconte : Ca revient forcément un peu, puisque le film a beau avoir toutes les apparences de la fantaisie, de la légèreté – j’allais dire de la « déconnade » mais il ne faut pas exagérer – c’est Le Magasin des Suicides, il y a des désespérés qui mettent fin à leurs jours. Il y a à la fois de quoi rire, et de quoi ne pas se poiler.

  Alors c’est vrai que des fois on me parle de ça, dans les conversations avec les journalistes ou avec le public. Mais sans que les questions là-dessus ne contiennent un quelconque reproche, du type « Vous n’avez pas honte, Monsieur Leconte, de faire un film sur le suicide ? » Parce que déjà, non, je n’ai pas honte ; et qu’ensuite le film ne constitue pas une apologie du suicide. Et ce n’est pas un film moqueur vis-à-vis du suicide non plus, il y a beaucoup de respect.

On ressent forcément l’influence de Tim Burton, dont les films ont en commun un goût pour la poésie macabre…

Patrice Leconte : Eh bien, ce n’est pas commode d’y échapper, parce que c’est vrai que cette histoire-là, cette famille-là, ce magasin-là, c’est pilepoil pour lui ! Quand je vais lui montrer le film, il va être vert !

 

Le Magasin des Suicides, de Patrice Leconte. Film d’animation, d’après le roman de Jean Teulé, avec les voix de Bernard Alane, Isabelle Spade, Kacey Mottet Klein, Isabelle Giami, Laurent Gendront, Pierre-François Martin-Laval, Eric Métayer, Urbain Cancelier… Sortie le 26 septembre 2012.

 

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