VOS DROITS. Chaque semaine, Maître Déborah Carmagnani avocate au barreau de Nancy répond aux questions des lecteurs de ici-c-nancy.fr.
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Déborah Carmagnani répond aux lecteurs de ici c nancy fr tous les lundis - photo d'illustration
 

Question : Je me permets de vous adresser ce message, car j’ai un urgent besoin d’être bien informé, sur les dédommagements moral et physique.

En effet, je passe le 29 avril 2014, au pénal après avoir porté plainte en mai 2012, contre l’un de mes chefs de secteur qui m’a fait subir plus de 4 mois de harcèlement moral et physique et  j’ai finalement craqué le 11 mai 2012, après plus de trois heures de travail intense, avec trois autres chefs sur mon dos, essayant à tout prix de me faire craquer en me faisant faire des gestes répétitifs de ménage. Depuis le mois de janvier un des chefs multipliait les mots blessants à mon égard « les gens comme vous, j’en ai viré plus d’un, la dernière en date une Française ».  Je suis femme de ménage pour le CNEF (centre de police) très appréciée depuis 2004, par les clients de ce site, il n’a aucun argument négatif concernant mon travail au contraire plusieurs fois le client lui a demandé de se calmer à mon égard, voyant comment celui-ci me rendait. Donc le 11 mai 2012, énervé que je ne craque pas à la pression des autres chefs me demandant des choses inhabituelles, il m’a publiquement interdit de me rendre à la cafétéria du site à ma pose, je lui demandais pourquoi? il a crié a me disant que c’était comme ça, et là j’ai aussi crié par désarroi, car trop c’est trop, et je me suis évanouie, en tombant par terre, c’est les pompiers qui m’ont réveillée j’ai fait une crise de spasmophilie, et un scanner qui prouve que mes cervicales sont foutues (le radiologiste pensait que j’avais fait un accident de voiture), et je suis à ce jour en arrêt de travail depuis octobre 2012, car il revenait toujours à la charge malgré ce qui c’était passé, et sachant que j’avais porté plainte contre lui, et j’avais de plus en plus mal à mes cervicales. Donc là enfin un juge trouve mon dossier recevable, mais mon avocat m’annonce qu’elle va demander entre 10 et 15.000 € de dommages et intérêts, je suis choquée!! Ma santé est floutée je sais que faire du ménage, j’élève seule mes deux enfants, ah oui! j’ai aussi porté plainte à la CPAM pour faute inexcusable, toujours dans l’attente j’ai aussi un dossier aux conseils des prud’hommes pour un avertissement injustifié dans l’attente aussi... Donc je voulais savoir Maitre après lecture ce que vous en pensiez, si cette somme qu’allait demandait mon avocat 15 000 € était justifiée avec le préjudice énorme subi sur ma santé sachant que je n’ai pas de diplôme demain mon médecin me demande de retravailler, comment je fais avec ces douleurs, depuis plus de 1 an et demi j’ai perdu 200 € à peu près chaque mois sur mon salaire.

maitrecarmagnani

 La réponse de Maître Carmagnani, avocate au barreau de Nancy
La question que vous me posez est délicate dans la mesure où je n’ai pas tous les éléments exacts de votre dossier. De plus, votre avocate a dû étudier au plus juste, et avec tous les éléments dont elle dispose, l’indemnisation à laquelle vous pouvez prétendre. Je vais donc vous donner les éléments afin que vous puissiez estimer votre préjudice.
 
Mais n’hésitez pas à faire état de vos doutes et questions à votre avocate qui sera le plus à même de vous donner des explications.
 
Le harcèlement moral est visé au terme de l’article L1152-1 du Code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
 
En droit pénal, l’article 222-33-2 du Code pénal est ainsi rédigé depuis la loi 2002-73 du 17 janvier 2002 : « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende. »
 
Vous pouvez donc agir à la fois devant la juridiction pénale et devant la juridiction prud’homale, ce que vous avez fait.
 
Ainsi, il se déduit de la jurisprudence que la reconnaissance du harcèlement moral suppose que soient mis en évidence des « agissements » de la part de l’auteur désigné, c’est-à-dire des actes, procédés ou manœuvres susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité d’un tiers et que l’impact sur le plaignant n’est pas le seul critère d’appréciation.
 
Le préjudice peut être de nature corporelle, morale ou matérielle. Toute demande d’indemnisation suppose de rapporter la preuve du préjudice allégué et il est indispensable de conserver tous justificatifs, notamment des contrats ou factures, constats ou attestations.
 
Le préjudice corporel résulte de blessures et plus globalement de toute atteinte à l’intégrité physique ou mentale de la victime. Le préjudice corporel est en principe déterminé par un Médecin, éventuellement désigné par le Tribunal, qui va rendre un rapport décrivant les dommages subis par la victime (blessures et les conséquences de celles-ci sur son existence) en les qualifiant et quantifiant en fonction d’une nomenclature et d’une échelle standardisée. Il me semble, d’après les éléments que vous me fournissez que vous ne devriez pas être concerné par ce poste de préjudice.
 
Le préjudice moral correspond à la souffrance morale, aux sentiments d’angoisse, de peur et de tristesse, ressentis par la victime. C’est essentiellement ce préjudice dont vous aurez à évaluer le montant.
 
Le préjudice matériel correspond à l’ensemble des pertes que vous avez subies. Il comprend notamment les pertes de salaire, les primes, intéressements et divers avantages financiers auxquels vous auriez eu droit si vous n’aviez pas dû vous arrêter en raison du harcèlement. 
 
Si la référence pour un harcèlement moral caractérisé est de 15 000 euros, les montants octroyés par les juridictions, au titre des dommages et intérêts, sont très variables : 
 
8.000 Euros (CA Nancy, 13 novembre 2009 Numéro JurisData : 2009-380384)
12.000 Euros (CA Metz, 20 octobre 2009 Numéro JurisData : 2009-380472)
60.800 Euros (CA Bordeaux, 3 septembre 2009 Numéro JurisData : 2009-010849)
30.000 Euros (CA Paris, 3 septembre 2009 Numéro JurisData : 2009-378684)
35.000 Euros (CA Paris, 19 mai 2009 Numéro JurisData : 2009-008061)
8.280 Euros (CA Rennes, 14 mai 2009 Numéro JurisData : 2009-004471)
40.000 Euros (CA Reims, 13 mai 2009 Numéro JurisData : 2009-011665)
14.067 Euros (CA Montpellier, 18 mars 2009 Numéro JurisData : 2009-378052)
14.635 Euros (CA Metz, 9 février 2009 Numéro JurisData : 2009-376459)
16.600 Euros (CA Paris, 27 janvier 2009 Numéro JurisData : 2009-375238)
10.000 Euros (CA Agen, 27 janvier 2009 Numéro JurisData : 2009-003299)
14.086 Euros (Ca Nîmes, 27 janvier 2009 Numéro JurisData : 2009-378045)
24.000 Euros (CA Caen, 23 janvier 2009 Numéro JurisData : 2009-003291)
38.400 Euros (CA Toulouse, 19 décembre 2008 Numéro JurisData : 2008-007906)
 
Je tiens à vous mettre en garde sur l’issue de votre plainte, mais votre avocate a déjà dû vous exposer cet éventualité. La plupart des salariés sont déboutés de leur action en justice sur le harcèlement moral, car ils n’établissent pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettraient de présumer de l’existence d’un harcèlement moral. Le salarié doit établir la matérialité des faits troublants.
 
La seule obligation du salarié est donc d’établir la matérialité de faits précis et concordants, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral [Cass. soc., 15 nov. 2011, n° 10-10.687]. La demande du salarié peut être écartée s’il ne rapporte aucun fait. Mais dès lors que ces faits sont désignés, le juge, pour débouter le salarié, doit expliquer en quoi ces derniers ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement. Il ne peut pas se contenter de dire que la requête est mal fondée [Cass. soc., 16 mars 2010, n° 08-44.094].
 
Le salarié peut ainsi notamment produire des attestations de collègues de travail ou de clients, des certificats médicaux, des courriers électroniques et tout autre document circulant dans l’entreprise laissant supposer qu’il subit des agissements typiques d’un harcèlement moral. En revanche, le salarié ne peut pas se contenter de fournir au juge des certificats médicaux, quand bien même ceux-ci feraient état de brimades ou de critiques multiples subies par l’intéressé. Ce dernier doit absolument apporter, devant le juge, outre les certificats médicaux, des éléments (témoignages, mails critiquant le travail effectué, etc.) permettant d’établir la matérialité d’agissements de harcèlement moral [Cass. soc., 29 janv. 2013, n° 11-22.174]. Avec cette nouvelle précision, la Cour de cassation envoie un message clair aux salariés : quel que soit leur contenu, les certificats médicaux attestant d’une dégradation de l’état de santé ne sont pas suffisants pour permettre au juge de statuer sur la présomption de harcèlement moral. La demande du salarié, non étayée par d’autres éléments, sera rejetée.
 
Une fois que le salarié a établi la matérialité des faits, le juge doit « appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ». Si oui, c’est seulement à ce moment que le défendeur, l’employeur la plupart du temps (voir encadré p. 19), entre en scène pour tenter de leur donner une explication objective [Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-10.623 ; Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-15.238].
 
Quels sont les éléments qui peuvent constituer un harcèlement moral ?
 
La définition légale du harcèlement moral exige une répétition d’agissements [C. trav., art. L. 1152-1] ; (voir p. 18). Un seul et même acte, même s’il perdure dans le temps, est donc insuffisant. 
 
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que le harcèlement moral peut être subi sur une brève période [Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152]. La loi ne définit en effet aucune période de temps sur laquelle les agissements doivent s’être répétés. De la même façon, la Cour en déduit que les agissements peuvent être très espacés dans le temps [Cass. soc., 25 sept. 2012, n° 11-17.987, en l’occurrence, plusieurs années].
 
Par ailleurs, la loi n’exige pas littéralement que les agissements visés aient réellement porté atteinte aux droits ou à la dignité des victimes. Il suffit qu’ils soient « susceptibles » de le faire. Le harcèlement moral pourra donc être sanctionné en dehors de tout préjudice avéré. Il reste que, le plus souvent, les actes de harcèlement moral ont un impact direct sur l’état de santé du salarié.
 
Vous ne devez donc pas perdre de vue que les juges restent très prudents avec les accusations de harcèlement moral et que ces agissements sont difficiles à prouver.
 
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