Comme Maria Callas, Gérard Philipe était né un 4 décembre. Mais lui, nous quitta prématurément, le 25 novembre 1959. A 36 ans. Foudroyé par un cancer du foie qui laissa la France pétrifiée et en larmes. C'est cette agonie d'une étoile de la scène et de l'écran que raconte Jérôme Garcin dans son livre bouleversant, « Le dernier hiver du Cid » (Gallimard). Presque un devoir filial d'ailleurs. Car, ayant épousé Anne-Marie Philipe, le comédien est donc son beau-père.
Votre proximité familiale avec Gérard Philipe a t-elle entrainé ici une rédaction exaltante ou douloureuse ?
Jérôme Garcin : Douleur, non. J'ai connu ça en écrivant sur mon jumeau disparu (« Olivier ») ou mon père (« La chute de cheval »). Ici, je me suis efforcé d'être le plus juste possible précisément parce que Gérard Philipe est mon beau-père. En tentant de ne rien faire qui puisse trahir ou déformer sa mémoire.
Quant à l'exaltation ?
Gérard Philipe était un acteur engagé, soucieux des autres et d'une humilité qui le conduisait à exiger le même cachet que ses camarades. Et son nom inscrit par ordre alphabétique sur les affiches du TNP. C'est donc en entrant dans cette existence, artistiquement exigeante et d'une générosité incroyable, que l'exaltation est venue.
Pourquoi Jean, son frère ainé ou l'un ou l'autre de ses enfants n'ont-ils rien publié ?
Jean, son ainé n'était pas artiste et Olivier, mon beau-frère n'est pas écrivain. Mais, quand j'ai dit à Anne-Marie, mon épouse comédienne : « Je vais écrire sur ton père », elle m'a dit oui tout de suite. Car elle savait que je dispose de documents uniques et que les lieux que je décris, notamment La Rouillière à Ramatuelle, sont devenus les nôtres. D'autre part, pour entrer dans l'intimité des derniers instants de Gérard Philipe, il fallait que ce soit quelqu'un de la famille.
Passage poignant que cet ultime séjour en clinique où Anne Philipe choisit de ne pas dire la vérité à son mari.
Cette femme qui ne dit pas la vérité à son mari pour l'épargner, il n'y a pas de plus grand sacrifice, au sens tragique, que de s'oublier pour lui offrir l'espoir. Lequel mari, ayant quand même l'intuition que ses jours sont comptés, ne lui dit rien, pour l'épargner également. La théorie de mon épouse, c'est que c'était dans les deux sens. On a donc le droit de penser qu'on assiste là à quelque chose de magnifique dans le registre de l'amour fou.
Vous ne faites pas mystère du passé collaborationniste du père de Gérard Philipe pendant la guerre. Cela n'a t-il pas nui à sa carrière ?
Non car ça s'est peu su à l'époque. Donc ça ne lui a pas nui, mais ça a influencé ses choix. Car le jeune FFI qui monte sur le toit de l'Hôtel de ville, fusil en main pour la libération de Paris, puis qui signe l'appel de Stockholm et s'engage dans un compagnonnage avec le PC, tout cela est fondé sur l'erreur terrible de ce père. Père qu'il ne reniera d'ailleurs jamais.
Suzanne Flon m'a dit qu'il arrivait chaque soir dix minutes avant le lever de rideau. Visage maquillé, il plongeait dans son costume et hop en scène.
Philippe Noiret, lui, m'a raconté qu'au TNP tous les comédiens de la troupe restaient en coulisses pour le regarder jouer, tellement l'action qu'il incarnait était puissante.
Imaginons : Gérard Philipe n'est pas mort et pousse la porte de votre bureau. Que lui dites vous ?
Oh, question inattendue...D'abord je l'embrasse. Puis je lui dirais : «Venez à la maison, voir votre fille à qui vous manquez depuis ses 5 ans. Venez embrasser nos trois enfants et petits enfants. Et je lui glisserais aussi : « Dommage que vous n'ayez pas contraint Jean Vilar à accepter la captation des pièces du TNP. Car ma génération en a été très, très privée ».
Fiona Franchi