VOS DROITS. Chaque semaine, Maître Déborah Carmagnani avocate au barreau de Nancy répond aux questions des lecteurs de ici-c-nancy.fr.

La question posée à Maître Carmagnani par Solange C. 

Il y a 26 ans, lorsque ma mère a pris sa retraite, mon frère lui a demandé de lui prêter de l’argent (160 000 F) pour l’aider à payer sa maison et lui a proposé d’en habiter le rez-de-chaussée qui était alors un garage, elle lui a fait signer une reconnaissance de dette. Ma mère a également financé l’aménagement de cet appartement. À cette époque nous lui avions dit ma sœur et moi que ce n’était pas une bonne idée, mais devant la volonté de notre mère (veuve) qui n’y voyait que des avantages, nous avons accepté sans prendre conscience des conséquences pour nous en terme d’égalité en cas de succession. Entre temps, mon frère a divorcé, pour lui éviter de perdre sa maison ma mère lui a donné à nouveau donné 210 000 F et payé une voiture 11 000 F alors qu’elle a une petite retraite de 1200 euros (euros actuels) et que cet argent lui aurait permis de s’acheter quelque chose et d’être indépendante, mais elle a cru qu’elle aurait le « beurre et l’argent du beurre ». Comme il a eu la garde de ses 2 filles, c’est ma mère qui en a assuré la garde gratuitement pendant 10 ans environ. Il y a 12 ans, ma mère nous a donné 5000 euros chacune à ma sœur et à moi en nous faisant signer un papier comme quoi c’était pour compenser 160 000 F donnés à mon frère argumentant qu’il était considéré comme le loyer de l’appartement qu’elle avait rénové ! Je sais que ce document lui a été dicté par mon frère sur conseil de son notaire (tout fini par se savoir), mais aucune mention des 210 000 F. Mais à l’époque nous ne connaissions toujours pas les conséquences et nous avons laissé faire, car nous ne voulions pas faire de peine à notre mère.

Mais aujourd’hui les choses changent, mon frère, qui a toujours rendu ma mère responsable de l’échec de son mariage a tout fait pour que ma mère s’en aille et abandonne l’appartement (car il n’a plus besoin d’elle maintenant d’autant qu’elle vieillit), ce qu’elle a fini par faire à l’âge de 75 ans en s’achetant un petit F2 en nous disant qu’il nous serait destiné à ma sœur et moi en compensation, mais elle n’a rien fait auprès du notaire et je sais que maintenant c’est trop tard. Elle a aujourd’hui 81 ans, elle souffre de la maladie d’Alzeihmer depuis 2 ans, c’est ma sœur et moi qui nous en occupons, car mon frère est aux abonnés absents (ingratitude !). Par contre, dès qu’il a besoin il se souvient d’elle et ma mère, qui a un gros faible pour son fils, lui donne tout ce qu’il demande (à ses filles aussi d’ailleurs) et je me suis rendue compte qu’elle retirait souvent de grosses sommes en liquide dont elle ne voulait pas me dire la destination (je gère ses comptes), de plus compte tenu de ses faibles revenus j’ai le sentiment qu’il s’arrangera pour ne pas participer financièrement à ses soins ou à sa mise en maison de retraite si c’est nécessaire.

Je voudrais donc savoir s’il reste quelque chose à sa mort  et notamment son appartement (mais j’espère qu’il ne restera plus rien), si nous avons ma sœur et moi possibilité de faire remettre les choses à plat par rapport à ces avantages financiers(mais nous n’avons pas de preuve, j’ai l’impression que ma mère a détruit la reconnaissance de dette), car c’est très désagréable de se sentir évincés même inconsciemment par notre mère au profit d’un ingrat. De même, si mon frère vend sa maison, peut-on exiger le remboursement de cette dette (il n’a jamais rien remboursé), j’ai cru comprendre que la somme ayant servi à acheter sa maison devait être revalorisée proportionnellement à la valeur de revente du bien d’autant que la maison dispose d’un appartement indépendant qui ne lui a rien coûté et qui n’existait pas au départ.

Par ailleurs, d’après ma sœur, ma nièce essaie d’amadouer ma mère afin de récupérer l’appartement, est-ce possible ? Je pense que par donation c’est impossible, mais peut-elle le lui mettre en viager par exemple sans payer de bouquet ni rente, juste en promettant de lui laisser l’usufruit ? C’est une situation à laquelle je n’avais pas pensé et qui la lèserait et nous avec s’il faut financer sa dépendance ou la mettre en maison de retraite (elle a la maladie d’Aklzeihmer, si elle le fait, le document est il valable ?).

Je ne souhaite pas mettre ma mère sous curatelle, çà la détruirait, je ne le ferai qu’en dernière limite quand elle ne sera plus consciente du tout.

maitrecarmagnani

 La réponse de Maître Carmagnani, avocate au barreau de Nancy

Au sein de la cellule familiale, les cadeaux de sommes d’argent, pour une occasion particulière, ne sont pas rares. Il n’a jamais été interdit de faire un don de somme d’argent. Mais dès lors que le don dépasse une certaine somme (eu égard aux facultés financières des intéressés) ou qu’il n’est pas fait à l’occasion d’un évènement particulier, le cadeau peut perdre sa qualification de présent d’usage pour devenir un don manuel. Et les conséquences de cette qualification ne sont pas anodines…

Dans votre cas, il est certain que les dons faits par votre mère à votre frère sont des montants assez importants ne pouvant pas être qualifiés de dons d’usage.

Il existe deux sortes de risques lors de la donation de somme important : un risque au regard du droit civil, en matière de succession et un risque au niveau fiscal. Au regard du droit civil, le don manuel est licite et constitue un acte de donation au même titre que la donation notariée. S’il est révélé, le don manuel viendra s’ajouter à l’actif à partager lors de la succession. Si le donataire est un héritier, ce qui est le cas de votre frère, il a l’obligation de déclarer le don qui lui a été consenti. Ce don est considéré comme une avance sur sa part successorale, sauf si le donateur en a convenu autrement dans un acte de déclaration du don.

La dissimulation d’un don est risquée, car les héritiers peuvent, par exemple, invoquer un recel successoral. L’héritier coupable de recel pourra alors être privé de sa part sur la succession. Une fois révélé, le don manuel antérieur entraine la réintégration des biens donnés dans l’actif successoral ainsi que leur estimation au jour de la révélation et non pas au jour du don.

Ce rapport peut être extrêmement préjudiciable dans le cas par exemple d’une somme d’argent qui a été utilisée par la suite pour le financement de travaux immobiliers ou s’est valorisée dans le cadre d’un portefeuille de valeurs mobilières par exemple. Votre frère se retrouverait dans cette situation puisque les deux sommes d’argent prêtées par votre mère à votre frère lui a servi a acheté et aménagé sa maison. Ces sommes seront donc revalorisées lors de la succession.

Le risque de redressement fiscal est également très important. En effet, les soupçons de l’Administration fiscale sur l’existence d’un don manuel résident souvent dans la différence importante constatée entre les revenus déclarés et les ressources investies ou dépensées. À l’égard de l’Administration fiscale, il faut toujours être en mesure de justifier de l’origine des fonds que l’on utilise et donc de prouver qu’il s’agit d’un don et non pas de fonds dissimulés par le contribuable. La révélation d’un don manuel, si elle n’est pas provoquée par le donataire lui-même, a donc de grandes chances d’intervenir à l’occasion d’une procédure de contrôle (ou au cours du règlement d’une succession).

À partir du moment où le don manuel a été révélé, il devra être déclaré dans le délai d’un mois. 

Les conséquences financières risquent d’être graves pour le donataire qui est en même temps héritier du donateur. En application de la règle du rappel fiscal, toute donation portée à la connaissance du fisc doit mentionner les donations antérieurement consenties dans les 6 années qui précèdent, par le donateur au même bénéficiaire. Si, à la suite de la déclaration de succession, le fisc parvient à prouver que le donataire a volontairement omis de déclarer un don manuel, il exigera les droits normalement dus, assortis des intérêts de retard (0,40 % par mois) et des pénalités pouvant atteindre 80 %.

Les dons en argent sont parfois une cause de conflit au sein d’une famille. En effet, les dons manuels peuvent venir modifier la manière dont sera partagée la succession entre les héritiers. Lorsqu’un don est révélé, il devra être rapporté à la succession pour éviter que les cohéritiers soient lésés. Le don en argent est bien souvent fait de main à main de manière informelle. Par conséquent, le problème qui se pose régulièrement est celui de la preuve du montant donné. Le rôle ici de l’avocat peut être multiple : appréhender le conflit familial, établir le montant des sommes à rapporter, gérer la succession, défendre vos intérêts…

Les litiges apparaissent généralement à l’occasion des successions lorsque des héritiers contestent les sommes perçues par d’autres héritiers. En effet, chaque somme reçue comme don en argent viendra en moins sur la part d’héritage de celui ou celle qui a reçu ce don. Dès lors, il y a un enjeu immédiat puisqu’un don en argent peut venir réduire ou augmenter la part d’héritage des cohéritiers selon qu’il est considéré comme don manuel ou simple présent d’usage. Le présent d’usage ne sera pas pris en compte pour la succession.

Enfin, en cas de dissimulation d’un don lors de la déclaration de succession, ce don pourrait être considéré comme un détournement d’héritage.

En considération des éléments que vous me donnez, il me semble que le seul moyen, à ce jour, de protéger votre mère financièrement, ainsi que vous-même et votre sœur est de saisir le juge des tutelles. La situation de votre mère semble préoccupante et tant qu’aucune décision du juge ne viendra désigner un tuteur pour gérer des intérêts patrimoniaux et financiers, vous n’êtes pas à l’abri que votre mère fasse un don à votre frère ou à votre nièce, en toute légalité.

Cette solution me parait d’autant plus importante que votre mère pourrait se trouver dépossédée de toutes ses économies et tous ses biens et ne pourrait plus faire face financièrement à son quotidien. D’autant que ces économies représenteraient également une avance en cas de placement en maison de retraite.

Je ne vois pas d’autre solution efficace pour le protéger.

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