Nancy- Le mercredi 26 octobre 2016, les policiers nancéiens appelaient à une marche citoyenne pour dénoncer leurs conditions de travail.
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photo d'illustration
 

Six cents personnes ont répondu à l’appel des policiers ce mercredi 26 octobre 2016, faisant de cette marche citoyenne une des plus grosses mobilisations provinciales dans le cadre des manifestations policières qui agitent l’hexagone en ce moment (un mouvement unique dans l’histoire de France). De nombreux citoyens étaient là, sur le temps de leur pause-déjeuner, pour montrer leur soutien aux revendications de la police nancéienne. Valérie*, brassard orange de la police au bras, est très touchée par cette mobilisation « C’est très bien qu’il y ait autant de gens pour soutenir nos revendications. »

Les revendications des policiers sont nombreuses et témoignent d’un ras-le-bol face à des problèmes auxquels ils font face depuis de nombreuses années. Aucun ne réclame une augmentation de salaire ou une diminution du temps de travail, mais simplement de meilleures conditions pour effectuer leurs missions. Laurent, policier nancéien depuis 15 ans résume les revendications « nous souhaitons un renouvellement du matériel, une augmentation des effectifs, un soutien de la hiérarchie et que la justice prenne ses responsabilités. Il y en marre d’arrêter les mêmes bandits et de voir que, derrière, il n’y a aucun suivi juridique. » 

L’insécurité en augmentation

Tous les membres des forces de l’ordre que nous avons interrogés, depuis le départ de la marche en face de l’hôtel de police, boulevard Lobau, nous on fait part d’une augmentation de la violence, de la délinquance, d’une dégradation des conditions de sécurité dans leurs missions ainsi que du manque de respect croissant envers les policiers. Jérémie, un jeune policier en poste depuis 2008 témoigne « J’estime que mes conditions de travail deviennent très difficiles. J’ai un sentiment d’insécurité même au travail. Nous avons beaucoup de mal à nous faire respecter durant nos missions sur la voie publique. On a des blessés de plus en plus souvent et nous ne sommes pas soutenus par notre hiérarchie. Nous sommes humiliés en permanence, on se fait insulter, on ne doit rien dire, on laisse faire. Même dans le centre-ville on se fait injurier, on nous envoie balader même quand on interpelle un jeune qui urine sur une façade. Il n’y a plus de peur, plus de respect, plus rien du tout. » Les quartiers où les gardiens de la paix ont le plus de difficultés dans le Grand Nancy se situent à la périphérie. Il s’agit des quartiers gangrénés par le trafic de drogue : Laxou Provinces, Champ-le-Bœuf, Haut-du-Lièvre, la Californie à Jarville et le quartier de la Chiennerie à Nancy. Stéphane (17 ans dans la police), officier de la BAC (Brigade Anti-Criminalité), a travaillé en banlieue parisienne avant d’être muté à Nancy. Il évoque les différences avec les quartiers sensibles nancéiens « là-bas, dés que vous êtes isolé et en sous-nombre, les gars viennent vous attaquer, je dis bien : vous attaquer. Ici les jeunes ils mettent encore un peu de distance, ils sont moins nombreux donc on les connait, s'ils viennent nous agresser ils savent qu’on va les retrouver, c’est un peu plus facile pour nous de ce coté là. Néanmoins dans ces quartiers on rencontre beaucoup d’incivilités, des halls dégradés et l’utilisation constante de motocross tout l’été. » La  manifestation arrive au niveau du marché. Deux passants invectivent les policiers en se plaignant que la manifestation bloque les lignes de bus et les empêche de se rendre sur leur lieu de travail. Marc-Antoine, retraité depuis quinze ans des forces de l’ordre et qui manifeste pour soutenir ses anciens collègues, se met en colère contre eux, mais retrouve vite son calme après avoir été raisonné par deux manifestants. « C’est une situation complètement surréaliste de se retrouver ici en manifestant contre des choses qui me paraissent inadmissibles. C’est très grave ce qu’il se passe, on est à la porte de la guerre civile, je vous le garantis. Ce n’est pas excessif ce que je vous dis. Si la police en a marre, il va y avoir des excès dans tous les domaines et arrivera ce qui arrivera… »

Un manque criant d’effectif

Les 12.000 postes de policiers et de gendarmes supprimés sous le mandat de Nicolas Sarkozy semblent avoir laissé des traces. En effet, le manque de personnels dans les commissariats et en patrouilles peut mener à des situations ubuesques. « Le manque d’effectif est cruel. À Nancy ça va, mais dans les petites circonscriptions ce n’est pas le cas. Parfois ils sont trois dehors et au poste pour la nuit. Je pense aux circonscriptions de Villerupt, Briey, Toul, Pont-à-Mousson, Lunéville… Quand il y a besoin de renfort, c’est Nancy qui doit venir. C’est presque un miracle que dans ces petites circonscriptions il n’y ait jamais eu de graves incidents » affirme Stéphane. Laurent raconte à ce propos une affaire qui a eu lieu à Pont-à-Mousson il y a quelques mois « Ils étaient deux en patrouilles pour toute la circonscription et un au commissariat (un jeune adjoint de sécurité avec peu d’expérience), il y a eu une grosse bagarre qui a éclaté en ville. Le jeune a dû fermer le poste pour rejoindre ses collègues à pied et en courant parce que ces derniers étaient pris à parti. » 

Laxisme judiciaire

Il existe une grande défiance des policiers vis-à-vis du monde de la justice. Beaucoup d’entre eux reprochent aux magistrats de ne pas appliquer les peines prévues par la loi et d’avoir à faire aux mêmes délinquants qu’ils retrouvent sur leur chemin très souvent. Laurent dénonce un « deux poids-deux mesures » « Pour tout ce qui est code de la route, violences conjugales, les juges vont appliquer les peines prévues par la loi. Par contre sur d’autres infractions, notamment les cambriolages, les voleurs ne prennent rien. C’est banalisé par le parquet. C’est la même chose pour les outrages, les rébellions et sur tout ce qui est trafic de stupéfiants. Il y a un gros écart de peine. » Concernant les outrages, les policiers ne les relèvent même plus, car les dossiers sont trop longs à monter et n’aboutissent que très rarement. Jérémie raconte une de ces expériences malheureuses où il a été filmé lors d’une des ces interventions. La vidéo a été postée sur le réseau social Facebook. Sa voix a été associée à un effet vocal de poulet « J’ai essayé de déposer plainte, ça a été très compliqué et on m’a rétorqué que l’on avait le droit de nous filmer et de nous publier sur Facebook et que le fait d’associer à un bruit de poulet à ma voix était un outrage, mais que ça n’irait pas loin, ça ne serait même pas suivi. »

La difficulté de monter un dossier qui n’aboutit qu’à des peines peu élevées compte tenu du délit, concerne aussi et surtout le trafic de drogues. Laurent affirme que les dealers « ne prennent pas grand-chose. Ça ne décourage pas les jeunes à se lancer dans le trafic et à gagner de l’argent facile. » Ce laxisme judiciaire s’accompagne aussi d’un laxisme au niveau des ordres que donne la hiérarchie policière. Le 19 octobre dernier sur RMC, un jeune policier de 25 ans des Bouches-du-Rhône a déclaré sur les ondes que  «On nous demande d'aller dans les cités avec parcimonie, de ne pas effectuer trop de contrôles et de ne pas bousculer l'économie souterraine des cités, alors que par contre on nous demande d'aller au carrefour pour verbaliser monsieur Tout-le-Monde qui va au travail pour gonfler les chiffres et faire en sorte que les carrières de nos chers patrons montent en flèche […]Le problème c'est que les gens qu'on verbalise, ils voient ce qui se passe dans les cités où ils font n'importe quoi sans casques, sans assurances, mais on nous demande de ne pas les poursuivre. On ne veut pas d'embrasement de cité parce qu'on a peur et qu'il ne faut pas faire de vague à 6 mois de la présidentielle.»

Nous avons soumis cette déclaration à l’approbation des policiers que nous avons interrogés en leur demandant si elle était aussi applicable à Nancy. Leur réaction est sans appel, ils dénoncent les mêmes agissements. « La politique du chiffre existe. On va nous demander de faire du chiffre sur le contrôle routier par exemple. Par contre tout ce qui concerne le trafic de stupéfiants, les violences urbaines, là on nous demande de ne pas faire de vague » révèle Laurent.

Le problème de la légitime défense

L’affaire du policier incendié au cocktail Molotov à Viry-Châtillon a mis au jour les difficultés concernant l’application de la loi de la légitime défense. En effet, celui-ci n’a pas osé dégainer son arme pour se défendre. Laurent explique « Dès qu’il y a une erreur, des blessés, c’est forcément le policier qui est mis en cause. Nous n’avons aucun soutien de la hiérarchie, des journalistes et de la justice derrière. Ça fait des années qu’on nous dit : si vous tirez, derrière, il y aura des enquêtes, des procédures en justice qui vont durer un ou deux ans. Pendant ces années la hiérarchie ne vous soutiendra pas. Vous allez changer de service. Vous serez interdit de voie publique et enfermé dans un bureau. Tout ça pour se faire entendre dire par la justice deux ans plus tard que le policier a bien agi . À force de répéter cela, les policiers sont formatés et c’est pour ça qu’ils n’ont pas tiré à Viry-Châtillon. À Paris, des véhicules sont régulièrement attaqués à coup de battes de base-ball et les policiers ne tirent jamais. » Stéphane nous rapporte le cas d’une agression au sabre qui a eu lieu il y a environ deux ans devant la gare de Nancy et où le policier au lieu de sortir son arme a paré le coup avec ses mains subissant une mutilation qui l’handicapera à vie. L’officier de la BAC dénonce « la charge qui pèse sur les épaules » du policier au moment où celui-ci doit prendre la décision en quelques secondes de sortir son arme ou pas. « Dans le cas de Viry-Châtillon, si notre collègue avait tiré avant que le délinquant mette le feu, on lui aurait dit qu’il l’avait abattu de sang-froid » poursuit Stéphane. « On a peur de ça résume Jérémie, on a des familles, une maison à payer. De ce fait on a de plus en plus peur de réagir que ce soit par une arme létale ou non et l’hésitation fait qu’on finit blessé. »   

Une confiance dans le monde de la politique brisée

La manifestation se termine devant la préfecture après un tour de la place Stanislas. Les organisateurs interpellent le préfet et se félicitent de la venue de 600 personnes à cette marche.

Aucun des policiers interrogés n’espère beaucoup en l’action des gouvernants, ni des syndicats censés les représenter. Certains dénoncent une collusion entre les deux. « Je n’ai pas du tout confiance en leur action. Je ne suis même pas tellement confiant par rapport à ce que l’on fait en ce moment. Je ne sais même pas si ça va réagir. » Face à l’accusation de Jean-Christophe Cambadélis (PS) d’une manifestation noyautée par le FN, Stéphane réagit  « Nous à Nancy et à notre niveau on n’a jamais vu quelqu’un du FN venir à notre rencontre. C’est un mouvement totalement apolitique. Je ne sais pas pourquoi il a dit ça, même son propre parti semble le regretter. C’est n’importe quoi. » 

Un peu plus tard dans la journée, le gouvernement présentera ses mesures en réaction aux demandes des policiers. À suivre dans un prochain article la réaction des policiers nancéiens à celles-ci. 

* Pour des raisons d’anonymat évidentes, tous les noms des policiers ayant témoigné dans cet article ont été modifiés.

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