Suédois de 43 ans, Ruben Östlund brûle les étapes. La preuve : après le succès de son 3e film, « Snow Therapy », le quatrième, « The Square » a décroché le graal : la Palme d’Or cannoise. Reconnaissant, il balade donc « sa » Palme dans l’hexagone. Attention, cependant. Car « The Square » secoue et dérange. Motif : Öslund y joue en maitre avec nos goûts, nos peurs et nos lâchetés. Explications.
Dans ce film, partez-vous en guerre contre l’art contemporain ou le snobisme de ceux qui l’incarnent ?
Ruben Ostlund : J’ai effectivement voulu critiquer l’univers de l’art contemporain. Univers néanmoins intéressant où on peut débattre d’idées comme celle du carré, titre du film. Cela dit, quand Marcel Duchamp avait exposé cet urinoir en porcelaine, il l’avait conçu comme une provocation. Or aujourd’hui, j’ai l’impression que l’univers de l’art contemporain est resté coincé dans cette dynamique là.
Conservateur de musée, le personnage principal est pourtant d’une grande naïveté.
Sans doute parce que je vois ce personnage comme je me considère moi-même. Je n’ai pas envie de créer des personnages jolis et parfaits. Ce qui m’intéresse, ce sont nos failles, nos faiblesses. Ces moments où nous ne sommes pas en mesure d’être les personnes que nous aimerions être.
Justement, Christian est habitué à gérer et décider. Or, il n’arrive même pas à calmer un enfant de 10 ans qu’il a faussement accusé du vol de son portable. Pourquoi ?
Parce que son métier l’a déconnecté du quotidien. Suite aux obligations qui pèsent sur lui, il doit représenter l’art contemporain et satisfaire les investisseurs. C’est une personnalité publique. Et c’est seulement lorsqu’il perd son emploi qu’il est enfin capable d’aller chez cet enfant pour s’excuser.
La Palme d'Or - photo Fiona Franchi
Comme si la liberté retrouvée lui redonnait une conscience morale.
Exactement. C’est pourquoi j’aime beaucoup l’épilogue. Car lorsqu’il retrouve cette liberté, c’est trop tard. Il n’a plus la possibilité de s’excuser. Et devra donc vivre avec cette culpabilité-là.
Est-ce aussi le sens de ses appels répétés dans la cage d’escalier ?
Oui. Ça permet d’établir un jeu avec la conscience de Christian. Il n’est pas nécessaire que l’enfant soit là. C’est une scène surréaliste et c’est bien comme ça.
Un mot sur Claes Bang, remarquable acteur qui joue Christian ?
Il est danois et jusqu’ici pas très connu. Mais le film a changé ça. Je suis aussi satisfait de sa performance que de sa personnalité. Car il est très, très sensible, ce que j’ai exploité dans le film. Il a d’ailleurs apporté au personnage de Christian une forme d’humanité qu’aucun autre acteur n’aurait égalée.
Vous jouez avec nos nerfs lors d’une scène de banquet troublé par un artiste simiesque qui outrage une invitée. Pourquoi Christian n’intervient-il pas ?
Cette scène a nécessité 4 jours de tournage. Elle illustre un phénomène sociologique dont l’idée est la suivante : plus il y a de personnes dans un espace, plus il faudra de temps pour que le groupe réagisse à une situation de ce type. Car, en tant qu’être humain, chacun est paralysé par la peur que ça lui arrive personnellement.
Sortie du film : 18 octobre Propos recueillis par Fiona FRANCHI
Résumé du film :
Père divorcé, Christian, conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain à Stockholm, y prépare une expo intitulée : « The Square » (le carré). Une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leurs devoirs envers leurs prochains. Mais, après s’être fait voler portefeuille et portable, Christian disjoncte et oublie ces valeurs.
