Nancy. Deux décennies après son premier opus intitulé Bye Bye, Karim Dridi achève sa trilogie marseillaise avec Chouf qui sortira dans les salles de cinéma le 5 octobre 2016. Un western urbain dans lequel le cinéaste plonge les spectateurs au coeur des banlieues du quartier nord de Marseille et de ses trafics de drogue. Rencontre avec le réalisateur franco-tunisien. 

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Karim Dridi, réalisateur de Chouf - crédit photo ici c nancy fr

RENCONTRE - avec le réalisateur Karim Dridi

Après le tournage de Bye-Bye, en 1995 et Khamsa en 2008, le cinéaste franco-tunisien Karim Dridri est revenu à Marseille pour le dernier volet de sa trilogie marseillaise avec Chouf, un long métrage abordant le chaud quotidien des cités avec ses réseaux de drogue et ses règlements de comptes à coup d'armes à feu. Entre terre et mer, soleil et ténèbres, le cinéaste entraîne le spectacteur dans la descente aux enfers de Sofiane, un brillant étudiant en école de commerce des quartiers nord de Marseille. Bouleversé par la mort de son frère, victime d'une guerre meurtrière entre caïds, Sofiane interrompt soudainement ses études pour comprendre et venger son frère... Un film de genre avant tout réaliste présenté comme un « thriller » ou « un western urbain » par le cinéaste qui avait déménagé à Marseille pour ce projet cinématographique afin de retranscrire avec vraissemblance l'univers du quartier tout en l'inscrivant dans une fiction. Déroutant et loin des clichés, Karim Dridi est allé à la rencontre de ces jeunes en marge de la société, « des laissés pour compte » pour filmer au plus près la réalité et capter l'hémorragie de tout un ghetto.

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Chouf - Copyright Pyramide Distribution

Comment êtes-vous parvenu à convaincre les jeunes de la cité pour planter vos caméras et réaliser votre film ?

Karim Dridri - « J'ai fait trois films en vingt ans à Marseille, le premier opus s'appelait Bye-Bye en 1995, le deuxième Khamsa en 2008 et le troisième Chouf qui sortira le 5 octobre 2016. Sur 20 ans, j'ai eu, le temps de faire des connaissances, dans les quartiers populaires. Pour Chouf, j'ai décidé d'habiter à Marseille et de travailler en lien avec les jeunes du quartier. Un premier travail de casting a alors commencé deux ans et demi en amont du tournage pour sélectionner parmi plus de mille candidats la dizaine de jeunes qui devrait constituer la troupe de Chouf pour ensuite travailler avec eux en atelier. C'est un travail de fond, un travail aussi avec toutes les associations de quartier notamment les femmes parce que beaucoup d'entre elles ont perdu des enfants dans ces guerres de gang. Je voulais leur expliquer ma démarche ce que j'avais envie de faire et gagner leur confiance qui est l'une des clés. La deuxième clé c'était le fait que j'avais tourné Khamsa avec tous les jeunes et qu'ils avaient tous envie de tourner dans Khamsa 2 sauf que je leur ai expliqué que c'était Chouf. C'était relativement facile pour moi. Un autre cinéaste qui serait venu tourner 3 ou 4 mois après, ça aurait été impossible, je pense... Enfin, il y a aussi ma double culture qui est aussi un passeport, je suis franco-tunisien, j'ai une culture qui me permet d'aborder l'aspect méditerranéen des choses, magrébin, africain aussi, peut-être de manière plus sensible et plus profonde. »

Le titre du film était initialement Caïds...

K.D. : « C'est Rachid Bouchareb, mon co-producteur qui m'a soufflé cette idée de Chouf, parce qu'il avait lu une première version du scénario et que Chouf c'est nettement plus fort que Caïds qui est un mot arabe aussi. Chouf c'est un mot très musical et qui a beaucoup de sens, ça veut dire guetter, regarder et aujourd'hui être un peu la vigie d'un monde qui ne va pas très bien. C'est aussi quelqu'un qui observe le monde dans lequel il habite, quelqu'un qui a les yeux ouverts, c'est important. »

Marseille, une ville tristement symbole des réglements sanglants entre trafiquants de drogue...

K.D : « Il n'y a pas qu'à Marseille, il y a d'autres quartiers. On parle de Marseille, car ça fait vendre du papier, même plus que du papier maintenant. Dans beaucoup d'autres banlieues, il y a des règlements de comptes et de nombreux morts engendrés essentiellement par les trafics liés à la misère. Alors, pourquoi dans ces lieux de non-droit, dans ces endroits où s'entassent des populations, dans des cités la plupart du temps insalubres où l'accès à l'école n'est pas la même pour tous, où l'accès à la médecine n'est pas non plus la même, pourquoi il existe des supermarchés de la drogue ? Et, il ne s'agit pas que de Marseille, je suppose qu'ici à Vandoeuvre-lès-Nancy, je vois des tours, à mon avis si je voulais acheter du shit ce serait assez facile. La question à se poser est : qui consomme ce shit, combien de millions de personnes consomment du cannabis en France et à partir de quand va-t-on arrêter cette hypocrisie, de cette vente de cannabis dans ces lieux de non-droit où il y a 80 % de chômage. De tous les jeunes que j'ai rencontrés, je n'en ai rencontré aucun qui m'ait dit : "c'est un mode de vie que j'aime bien, je suis chouf, je suis vendeur de shit parce que j'aime ce mode de vie". Non, ils disent : "je le fais parce que n'ai pas de boulot et que j'ai trouvé ce truc-là et je dois me nourrir, acheter mes baskets et parfois même nourrir ma famille, donc je le fais" ».

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Chouf - Copyright Pyramide Distribution

Vous avez tourné il y a 20 ans dans ces mêmes quartiers à Marseille, 20 ans après, quelle ville avez-vous retrouvé, que vous ont dit les jeunes ?

K.D : « Marseille a changé mais pas seulement, ce film j'aurais pu le tourner à Lyon, à Strasbourg, à Paris, à Belfort, à Nancy... J'ai voulu le tourner à Marseille, parce que c'est une tragédie et je trouve que la tragédie de manière antique va mieux sous le soleil méditerranéen et puis j'avais aussi mes entrées à Marseille. Oui, en vingt ans, Marseille a changé, mais le monde aussi, la France a changé. Marseille me fait beaucoup penser à la ville de Baltimore, notamment après avoir vu (NDLR: la série) the Wire. Comme Marseille, c'est un port également où il y a une jeunesse totalement laissée à l'abandon où il y a du chômage et des trafics de drogue. »

On découvre une cité où les trafics de drogue sont très bien organisés, paradoxe, la police apparaît très peu ou quand des policiers interviennent, il s'agit de policiers ripoux  ...

K.D : « Il y a des flics qui sont bien, mais oui, dans mon film, ils n'ont pas le bon rôle. Le problème c'est que je n'ai rien inventé, c'est l'histoire de la Bac nord qui a eu lieu à Marseille et tous ces scandales et moi en allant dans les quartiers j'ai souvent entendu des jeunes me raconter ces histoires de racket. De là à dire que tous les flics sont des pourris, ce n'est pas ce que je veux dire, mais déjà lorsque vous savez que le fonctionnement de la police qui s'occupe de la répression contre le cannabis, notamment, est financé par les saisies des réseaux de drogue de cannabis, on se demande dans quel cercle vicieux on est tombé... »

L'omniprésence du soleil et la musique dans Chouf

K.D : « L'image solaire, c'est un peu comme dans l'Etranger de Camus, la présence du soleil qui fait tourner les têtes et qui réchauffe le sang renforce la tragédie. On sort du quartier pour se retrouver dans un décor paradisiaque presque hellénique avec la mer et le soleil et on replonge ensuite dans le quartier renforçant l'idée d'enfermement et de replonger dans la cocotte minute. Ce sont deux oppositions de décors qui créent une synergie et un rythme propices à ce type de film. J'ai aussi choisi le format scope, au lieu de filmer le quartier avec une caméra souffretteuse, approximative et avoir de la pauvreté, j'ai voulu le plus beau scope pour filmer cette histoire. »

Le film a été sélectionné par le Festival de Cannes, un tremplin pour les jeunes acteurs du film ?

K.D : « Une reconnaissance, plus qu'un tremplin, après la question est de savoir, est-ce qu'ils vont continuer à faire du cinéma, ce n'est pas si simple c'est un monde avec des codes, il faut être très bien entouré pour continuer. Moi, j'ai pu m'occuper d'eux quelques années, travailler avec eux dans le but de faire Chouf, mais ce n'est pas mon rôle de pallier à un dysfonctionnement de l'état de notre société qui doit accompagner ces talents. Si ces jeunes qu'on stigmatise comme étant de la racaille sont capable de monter les marches du plus grand festival du monde, il y a d'autres jeunes qui sont capables de choses identiques dans d'autres domaines et pas forcémment artistiques... »

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Chouf - Crédit Pyramide film

 

Quelle a été la scène du film la plus compliquée à tourner ?

K.D : « La scène du hammam ! C'était compliqué parce que c'était un lieu clos, il faisait 60 °C, on l'avait éteint, mais il restait chaud et on est resté une journée entière avec cette scène de haute tension. On s'est engueulé un peu tous, ça a failli être la fin du tournage ce jour là, mais on a passé le truc. La scène est réussie car on sent cette tension. »

Un message à adresser aux politiques ? 

K.D « Je n'ai plus d'espoir en les politiques, vraiment plus. Ils ne comprennent rien, tu peux faire tout ce que tu veux. Je n'ai pas fait ce film pour les politiques. J'ai d'abord fait du cinéma pour voyager dans une histoire, ressentir des émotions. Après, cette histoire nous ramène à notre réalité, qu'est ce qu'on peut faire ? Peut-être, éviter de l'occulter, peut-être affronter certaines choses... Il faut mettre à un moment donné, l'histoire en perspective, si on dit que ces cités existent depuis la guerre d'Algérie. La colonisation de l'Algérie a été une fracture énorme pour la France, ces jeunes issus essentiellement d'Algérie font partie maintenant de la 3e voire de la 4e génération. Il faut apprendre aux jeunes Français, l'histoire de France et des colonies... »

Vos projets...

K.D : « J'en ai plein. J'ai fini un documentaire tourné en Palestine intitulé Quatuor Galilée et j'en tourne aussi un sur un couple de marionnettistes en Palestine. J'ai également un projet de documentaire musical et des projets de fiction... »


Chouf.mini- Chouf - (film drame)
 
Date de sortie : le 5 octobre 2016, (1 h 48 min) 
Réalisé par Karim Dridi
Le Pitch du film :  Chouf, ça veut dire "regarde" en arabe. C'est le nom des guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Sofiane, 24 ans, brillant étudiant, intègre le business de son quartier après le meurtre de son frère, un caïd local. Pour retrouver les assassins, Sofiane est prêt à tout. Il abandonne famille, études et gravit rapidement les échelons. Aspiré par une violence qui le dépasse, Sofiane découvre la vérité et doit faire des choix.

EN VIDÉO. Chouf - bande-annonce du film 

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